Source: Jean-Baptiste Poquelin (1620-1673), alias MoliÃre, “Oeuvres de MoliÃre, avec des notes de tous les commentateurs”, Tome Premier, Paris, Librarie de Firmin-Didot et Cie, Imprimeurs de l’Institut, rue Jacob, 56, 1890. [Spelling of the 1890 edition. Footnotes have been retained because they provide the meanings of old French words or expressions. Footnote are indicated by numbers in brackets, and are grouped at the end of the Etext. Downcase accents have been kept, but not upcase accents (not well supported by all software). Text encoding is iso-8859-1.] L’ETOURDI ou LES CONTRE-TEMPS ComÃdie (1653-1658) PERSONNAGES ACTEURS LÃlie, fils de Pandolfe. La Grange. CÃlie, esclave de Trufaldin. Mlle de Brie. Mascarille, valet de LÃlie. MoliÃre. Hippolyte, fille d’Anselme. Mme Duparc. Anselme, pÃre d’Hippolyte. Louis BÃjart. Trufaldin, vieillard. Pandolfe, pÃre de LÃlie. BÃjart aÃnÃ. LÃandre, fils de famille. AndrÃs, cru Ãgyptien. Ergaste, ami de Mascarille. Un courrier. Deux troupes de masques. La scÃne est â¡ Messine. ACTE PREMIER. ————- ScÃne premiÃre. – LÃlie. – LÃlie – Eh bien ! LÃandre, eh bien ! il faudra contester ; Nous verrons de nous deux qui pourra l’emporter ; Qui, dans nos soins communs pour ce jeune miracle, Aux voeux de son rival portera plus d’obstacle : PrÃparez vos efforts, et vous dÃfendez bien, SËr que de mon cÃtà je n’Ãpargnerai rien. ———– ScÃne II. – LÃlie, Mascarille. – LÃlie – Ah ! Mascarille ! – Mascarille – Quoi ? – LÃlie – Voici bien des affaires ; J’ai dans ma passion toutes choses contraires : LÃandre aime CÃlie, et, par un trait fatal, Malgrà mon changement, est encor mon rival. – Mascarille – LÃandre aime CÃlie ! – LÃlie – Il l’adore, te dis-je. – Mascarille – Tant pis. – LÃlie – Eh, oui, tant pis ; c’est ce qui m’afflige. Toutefois j’aurais tort de me dÃsespÃrer : Puisque j’ai ton secours, je puis me rassurer ; Je sais que ton esprit, en intrigues fertile, N’a jamais rien trouvà qui lui fËt difficile ; Qu’on te peut appeler le roi des serviteurs ; Et qu’en toute la terre… – Mascarille – Eh ! trÃve de douceurs, Quand nous faisons besoin, nous autres misÃrables, Nous sommes les chÃris et les incomparables ; Et dans un autre temps, dÃs le moindre courroux, Nous sommes les coquins qu’il faut rouer de coups. – LÃlie – Ma foi, tu me fais tort avec cette invective. Mais enfin discourons un peu de ma captive : Dis si les plus cruels et plus durs sentiments Ont rien d’impÃnÃtrable â¡ des traits si charmants. Pour moi, dans ses discours, comme dans son visage Je vois pour sa naissance un noble tÃmoignage ; Et je crois que le ciel dedans un rang si bas Cache son origine, et ne l’en tire pas. – Mascarille – Vous Ãtes romanesque avecque vos chimÃres ; Mais que fera Pandolfe en toutes ces affaires ? C’est, Monsieur, votre pÃre, au moins â¡ ce qu’il dit : Vous savez que sa bile assez souvent s’aigrit ; Qu’il peste contre vous d’une belle maniÃre, Quand vos dÃportements lui blessent la visiÃre. Il est avec Anselme en parole pour vous Que de son Hippolyte on vous fera l’Ãpoux, S’imaginant que c’est dans le seul mariage Qu’il pourra rencontrer de quoi vous faire sage Et s’il vient â¡ savoir que, rebutant son choix, D’un objet inconnu vous recevez les lois, Que de ce fol amour la fatale puissance Vous soustrait au devoir de votre obÃissance, Dieu sait quelle tempÃte alors Ãclatera, Et de quels beaux sermons on vous rÃgalera. – LÃlie – Ah ! trÃve, je vous prie, â¡ votre rhÃtorique ! – Mascarille – Mais vous, trÃve plutÃt â¡ votre politique ! Elle n’est pas fort bonne, et vous devriez tâcher… – LÃlie – Sais-tu qu’on n’acquiert rien de bon â¡ me fâcher, Que chez moi les avis ont de tristes salaires, Qu’un valet conseiller y fait mal ses affaires ? – Mascarille – (â¡ part.) Il se met en courroux. (haut.) Tout ce que j’en ai dit N’Ãtait rien que pour rire et vous sonder l’esprit. D’un censeur de plaisirs ai-je fort l’encolure ? Et Mascarille est-il ennemi de nature ? Vous savez le contraire, et qu’il est trÃs certain Qu’on ne peut me taxer que d’Ãtre trop humain. Moquez-vous des sermons d’un vieux barbon de pÃre : poussez votre bidet, vous dis-je, et laissez faire. Ma foi, j’en suis d’avis, que ces pÃnards chagrins Nous viennent Ãtourdir de leurs contes badins, Et, vertueux par force, espÃrent par envie Oter aux jeunes gens les plaisirs de la vie. Vous savez mon talent, je m’offre â¡ vous servir. – LÃlie – Ah ! c’est par ces discours que tu peux me ravir. Au reste, mon amour, quand je l’ai fait paraÃtre, N’a point Ãtà mal vu des yeux qui l’ont fait naÃtre. Mais LÃandre, â¡ l’instant, vient de me dÃclarer Qu’â¡ me ravir CÃlie il va se prÃparer : C’est pourquoi dÃpÃchons, et cherche dans ta tÃte Les moyens les plus prompts d’en faire ma conquÃte. Trouve ruses, dÃtours, fourbes, inventions, Pour frustrer un rival de ses prÃtentions. – Mascarille – Laissez-moi quelque temps rÃver â¡ cette affaire. (â¡ part.) Que pourrais-je inventer pour ce coup nÃcessaire ? – LÃlie – Eh bien ! le stratagÃme ? – Mascarille – Ah ! comme vous courez ! Ma cervelle toujours marche â¡ pas mesurÃs. J’ai trouvà votre fait : il faut… Non, je m’abuse. Mais si vous alliez… – LÃlie – OË ? – Mascarille – C’est une faible ruse. J’en songeais une… – LÃlie – Et quelle ? – Mascarille – Elle n’irait pas bien. Mais ne pourriez-vous pas…? – LÃlie – Quoi ? – Mascarille – Vous ne pourriez rien. Parler avec Anselme. – LÃlie – Et que lui puis-je dire ? – Mascarille – Il est vrai, c’est tomber d’un mal dedans un pire. Il faut pourtant l’avoir. Allez chez Trufaldin. – LÃlie – Que faire ? – Mascarille – Je ne sais. – LÃlie – C’en est trop, â¡ la fin, Et tu me mets â¡ bout par ces contes frivoles. – Mascarille – Monsieur, si vous aviez en main force pistoles, Nous n’aurions pas besoin maintenant de rÃver A chercher les biais que nous devons trouver, Et pourrions, par un prompt achat de cette esclave, EmpÃcher qu’un rival vous prÃvienne et vous brave. De ces Egyptiens qui la mirent ici, Trufaldin, qui la garde, est en quelque souci ; Et trouvant son argent, qu’ils lui font trop attendre, Je sais bien qu’il serait trÃs ravi de la vendre : Car enfin en vrai ladre il a toujours vÃcu ; Il se ferait fesser pour moins d’un quart d’Ãcu ; Et l’argent est le dieu que surtout il rÃvÃre : Mais le mal, c’est… – LÃlie – Quoi ? c’est… – Mascarille – Que monsieur votre pÃre Est un autre vilain qui ne vous laisse pas, comme vous voudriez bien, manier ses ducats ; Qu’il n’est point de ressort qui, pour votre ressource, PËt faire maintenant ouvrir la moindre bourse. Mais tâchons de parler â¡ CÃlie un moment, Pour savoir lâ¡-dessus quel est son sentiment. La fenÃtre est ici. – LÃlie – Mais Trufaldin, pour elle, Fait de nuit et de jour exacte sentinelle. Prend garde. – Mascarille – Dans ce coin demeurons en repos. O bonheur ! la voilâ¡ qui sort tout â¡ propos. ———– ScÃne III. – CÃlie, LÃlie, Mascarille. – LÃlie – Ah ! que le ciel m’oblige en offrant â¡ ma vue Les cÃlestes attraits dont vous Ãtes pourvue ! Et, quelque mal cuisant que m’aient causà vos yeux, Que je prends de plaisir â¡ les voir en ces lieux ! – CÃlie – Mon coeur, qu’avec raison votre discours Ãtonne, N’entend pas que mes yeux fassent mal â¡ personne ; Et si dans quelque chose ils vous ont outragÃ, Je puis vous assurer que c’est sans mon congÃ. – LÃlie – Ah ! leurs coups sont trop beaux pour me faire une injure ! Je mets toute ma gloire â¡ chÃrir leur blessure, Et… – Mascarille – Vous le prenez lâ¡ d’un ton un peu trop haut ; Ce style maintenant n’est pas ce qu’il nous faut. Profitons mieux du temps, et sachons vite d’elle Ce que… – Trufaldin – (dans sa maison.) CÃlie ! – Mascarille – (â¡ LÃlie.) Eh bien ! – LÃlie – O rencontre cruelle ! Ce malheureux vieillard devait-il nous troubler ? – Mascarille – Allez, retirez-vous ; je saurai lui parler. ———– ScÃne IV. – Trufaldin, CÃlie, LÃlie (retirÃ, dans un coin), Mascarille. – Trufaldin – (â¡ CÃlie.) Que faites-vous dehors ? et quel soin vous talonne, Vous â¡ qui je dÃfends de parler â¡ personne ? – CÃlie – Autrefois j’ai connu cet honnÃte garÃon ; Et vous n’avez pas lieu d’en prendre aucun soupÃon. – Mascarille – Est-ce lâ¡ le seigneur Trufaldin ? – CÃlie – Oui, lui-mÃme. – Mascarille – Monsieur, je suis tout vÃtre, et ma joie est extrÃme De pouvoir saluer en toute humilità Un homme dont le nom est partout si vantÃ. – Trufaldin – TrÃs humble serviteur. – Mascarille – J’incommode peut-Ãtre ; Mais je l’ai vue ailleurs, oË, m’ayant fait connaÃtre Les grands talents qu’elle â¡ pour savoir l’avenir, Je voulais sur un point un peu l’entretenir. – Trufaldin – Quoi ! te mÃlerais-tu d’un peu de diablerie ? – CÃlie – Non, tout ce que je sais n’est que blanche magie. – Mascarille – Voici donc ce que c’est. Le maÃtre que je sers Languit pour un objet qui le tient dans ses fers ; Il aurait bien voulu du feu qui le dÃvore Pouvoir entretenir la beautà qu’il adore : Mais un dragon, veillant sur ce rare trÃsor, N’a pu, quoi qu’il ait fait, le lui permettre encor ; Et ce qui plus le gÃne et le rend misÃrable, Il vient de dÃcouvrir un rival redoutable : Si bien que, pour savoir si ses soins amoureux Ont sujet d’espÃrer quelque succÃs heureux, Je viens vous consulter, sËr que de votre bouche Je puis apprendre au vrai le secret qui nous touche. – CÃlie – Sous quel astre ton maÃtre a-t-il reÃu le jour ? – Mascarille – Sous un astre â¡ jamais ne changer son amour. – CÃlie – Sans me nommer l’objet pour qui son coeur soupire, La science que j’ai m’en peut assez instruire. Cette fille a du coeur, et, dans l’adversitÃ, Elle sait conserver une noble fiertà ; Elle n’est pas d’humeur â¡ trop faire connaÃtre Les secrets sentiments qu’en son coeur on fait naÃtre. Mais je les sais comme elle, et, d’un esprit plus doux, Je vais en peu de mots te les dÃcouvrir tous. – Mascarille – O merveilleux pouvoir de la vertu magique ! – CÃlie – Si ton maÃtre en ce point de constance se pique, Et que la vertu seule anime son dessein, Qu’il n’apprÃhende plus de soupirer en vain ; Il a lieu d’espÃrer, et le fort qu’il veut prendre N’est pas sourd aux traitÃs, et voudra bien se rendre. – Mascarille – C’est beaucoup ; mais ce fort dÃpend d’un gouverneur Difficile â¡ gagner. – CÃlie – C’est lâ¡ tout le le malheur. – Mascarille – (â¡ part, regardant LÃlie.) Au diable le fâcheux qui toujours nous Ãclaire ! – CÃlie – Je vais vous enseigner ce que vous devez faire. – LÃlie – (les joignant.) Cessez, à Trufaldin, de vous inquiÃter ! C’est par mon ordre seul qu’il vous vient visiter, Et je vous l’envoyais, ce serviteur fidÃle, Vous offrir mon service, et vous parler pour elle, Dont je vous veux dans peu payer la libertÃ, Pourvu qu’entre nous deux le prix soit arrÃtÃ. – Mascarille – La peste soit la bÃte ! – Trufaldin – Ho ! ho ! qui des deux croire ? Ce discours au premier est fort contradictoire. – Mascarille – Monsieur, ce galant homme a le cerveau blessà ; Ne le savez-vous pas ? – Trufaldin – Je sais ce que je sai. J’ai crainte ici dessous de quelque manigance. (â¡ CÃlie.) Rentrez, et ne prenez jamais cette licence. Et vous, filous fieffÃs, ou je me trompe fort, Mettez, pour me jouer, vos flËtes mieux d’accord. ———– ScÃne V. – LÃlie, Mascarille. – Mascarille – C’est bien fait. Je voudrais qu’encor, sans flatterie, Il nous eËt d’un bâton chargÃs de compagnie. A quoi bon se montrer, et, comme un Ãtourdi, Me venir dÃmentir de tout ce que je di ? – LÃlie – Je pensais faire bien. – Mascarille – Oui, c’Ãtait fort l’entendre. Mais quoi ! cette action ne me doit point surprendre : Vous Ãtes si fertile en pareils contre-temps, Que vos Ãcarts d’esprit n’Ãtonnent plus les gens. – LÃlie – Ah ! mon Dieu ! pour un rien me voilâ¡ bien coupable ! Le mal est-il si grand qu’il soit irrÃparable ? Enfin, si tu ne mets CÃlie entre mes mains, Songe au moins de LÃandre â¡ rompre les desseins ; Qu’il ne puisse acheter avant moi cette belle. De peur que ma prÃsence encor soit criminelle, Je te laisse. – Mascarille – Fort bien. A dire vrai, l’argent Serait dans notre affaire un sËr et fort agent ; Mais ce ressort manquant, il faut user d’un autre. ———– ScÃne VI. – Anselme, Mascarille. – Anselme – Par mon chef ! C’est un siÃcle Ãtrange que le nÃtre ! J’en suis confus. Jamais tant d’amour pour le bien, Et jamais tant de peine â¡ retirer le sien ! Les dettes aujourd’hui, quelque soin qu’on emploie, Sont comme les enfants, que l’on conÃoit en joie, Et dont avecque peine on fait l’accouchement. L’argent dans une bourse entre agrÃablement ; Mais, le terme venu que nous devons le rendre, C’est lors que les douleurs commencent â¡ nous prendre. Baste ! ce n’est pas peu que deux mille francs, dus Depuis deux ans entiers, me soient enfin rendus ; Encore est-ce un bonheur. – Mascarille – (â¡ part les quatre premiers vers.) O Dieu ! la belle proie A tirer en volant ! Chut, il faut que je voie Si je pourrais un peu de prÃs le caresser. Je sais bien les discours dont il faut le bercer… Je viens de voir, Anselme… – Anselme – Et qui ? – Mascarille – Votre NÃrine. – Anselme – Que dit-elle de moi, cette gente assasine (1) ? – Mascarille – Pour vous elle est de flamme. – Anselme – Elle ? – Mascarille – Et vous aime tant, Que c’est grande pitiÃ. – Anselme – Que tu me rends content ! – Mascarille – Peu s’en faut que d’amour la pauvrette ne meure. Anselme, mon mignon, crie-t-elle â¡ toute heure, Quand est-ce que l’hymen unira nos deux coeurs, Et que tu daigneras Ãteindre mes ardeurs ? – Anselme – Mais pourquoi jusqu’ici me les avoir celÃes ? Les filles, par ma foi, sont bien dissimulÃes ! Mascarille, en effet, qu’en dis-tu ? quoique vieux, J’ai de la mine encore assez pour plaire aux yeux. – Mascarille – Oui, vraiment, ce visage est encor fort mettable ; S’il n’est pas des plus beaux, il est des agrÃable. – Anselme – Si bien donc…? – Mascarille – (veut prendre la bourse.) Si bien donc qu’elle est sotte de vous, Ne vous regarde plus… – Anselme – Quoi ? – Mascarille – Que comme un Ãpoux, Et vous veut…? – Anselme – Et me veut…? – Mascarille – Et vous veut, quoi qu’il tienne, Prendre la bourse… – Anselme – La ? – Mascarille – (prend la bourse, et la laisse tomber.) La bouche avec la sienne. – Anselme – Ah ! je t’entends. Viens câ¡ : lorsque tu la verras, Vante-lui mon mÃrite autant que tu pourras. – Mascarille – Laissez-moi faire. – Anselme – Adieu. – Mascarille – (â¡ part.) Que le ciel vous conduise ! – Anselme – (revenant.) Ah ! vraiment, je faisais une Ãtrange sottise, Et tu pouvais pour toi m’accuser de froideur. Je t’engage â¡ servir mon amoureuse ardeur, Je reÃois par ta bouche une bonne nouvelle, Sans du moindre prÃsent rÃcompenser ton zÃle ! Tiens, tu te souviendras… – Mascarille – Ah ! non pas, s’il vous plaÃt. – Anselme – Laisse-moi… – Mascarille – Point du tout. J’agis sans intÃrÃt. – Anselme – Je le sais ; mais pourtant… – Mascarille – Non, Anselme, vous dis-je ; Je suis homme d’honneur, cela me dÃsoblige. – Anselme – Adieu donc, Mascarille. – Mascarille – (â¡ part.) O longs discours ! – Anselme – (revenant.) Je veux RÃgaler par tes mains cet objet de mes voeux ; Et je vais te donner de quoi faire pour elle L’achat de quelque bague, ou telle bagatelle Que tu trouveras bon. – Mascarille – Non, laissez votre argent : Sans vous mettre en souci, je ferai le prÃsent ; Et l’on m’a mis en main une bague â¡ la mode, Qu’aprÃs vous payerez, si cela l’accommode. – Anselme – Soit ; donne-la pour moi : mais surtout fais si bien Qu’elle garde toujours l’ardeur de me voir sien. ———– ScÃne VII. – LÃlie, Anselme, Mascarille. – LÃlie – (ramassant la bourse.) A qui la bourse ? – Anselme – Ah ! dieux ! elle m’Ãtait tombÃe ! Et j’aurais aprÃs cru qu’on me l’eËt dÃrobÃe ! Je vous suis bien tenu de ce soin obligeant, Qui m’Ãpargne un grand trouble et me rend mon argent. Je vais m’en dÃcharger au logis tout â¡ l’heure. ———– ScÃne VIII. – LÃlie, Mascarille. – Mascarille – C’est Ãtre officieux, et trÃs fort, ou je meure. – LÃlie – Ma foi ! sans moi, l’argent Ãtait perdu pour lui. – Mascarille – Certes, vous faites rage, et payez aujourd’hui D’un jugement trÃs rare et d’un bonheur extrÃme ; Nous avancerons fort, continuez de mÃme. – LÃlie – Qu’est-ce donc ? Qu’ai-je fait ? – Mascarille – Le sot, en bon franÃois, Puisque je puis le dire, et qu’enfin je le dois. Il sait bien l’impuissance oË son pÃre le laisse, Qu’un rival qu’il doit craindre, Ãtrangement nous presse : Cependant, quand je tente un coup pour l’obliger Dont je cours moi tout seul la honte et le danger… – LÃlie – Quoi ? c’Ãtait…? – Mascarille – Oui, bourreau, c’Ãtait pour la captive Que j’attrapais l’argent dont votre soin nous prive. – LÃlie – S’il est ainsi, j’ai tort ; mais qui l’eËt devinà ? – Mascarille – Il fallait, en effet, Ãtre bien raffinà ! – LÃlie – Tu me devais par signe avertir de l’affaire. – Mascarille – Oui, je devais au dos avoir mon luminaire. Au nom de Jupiter, laissez nous en repos, Et ne nous chantez plus d’impertinents propos ! Un autre, aprÃs cela, quitterait tout peut-Ãtre ; Mais j’avais mÃdità tantÃt un coup de maÃtre, Dont tout prÃsentement je veux voir les effets ; A la charge que si… – LÃlie – Non, je te le promets, De ne me mÃler plus de rien dire ou rien faire. – Mascarille – Allez donc ; votre vue excite ma colÃre. – LÃlie – Mais surtout hâte-toi, de peur qu’en ce dessein… – Mascarille – Allez, encore un coup ; j’y vais mettre la main. (LÃlie sort.) Menons bien ce projet ; la fourbe sera fine, S’il faut qu’elle succÃde ainsi que j’imagine. Allons voir… Bon, voici mon homme justement. ———– ScÃne IX. – Pandolfe, Mascarille. – Pandolfe – Mascarille ! – Mascarille – Monsieur. – Pandolfe – A parler franchement, Je suis mal satisfait de mon fils. – Mascarille – De mon maÃtre ? Vous n’Ãtes pas le seul qui se plaigne de l’Ãtre : Sa mauvaise conduite, insupportable en tout, Met â¡ chaque moment ma patience â¡ bout. – Pandolfe – Je vous croyais pourtant assez d’intelligence Ensemble. – Mascarille – Moi ? Monsieur, perdez cette croyance ; Toujours de son devoir je tâche â¡ l’avertir, Et l’on nous voit sans cesse avoir maille â¡ partir (2). A l’heure mÃme encor nous avons eu querelle Sur l’hymen d’Hippolyte, oË je le vois rebelle, OË, par l’indignità d’un refus criminel, Je le vois offenser le respect paternel. – Pandolfe – Querelle ? – Mascarille – Oui, querelle, et bien avant poussÃe. – Pandolfe – Je me trompais donc bien ; car j’avais la pensÃe Qu’â¡ tout ce qu’il faisait tu donnais de l’appui. – Mascarille – Moi ! Voyez ce que c’est que du monde aujourd’hui, Et comme l’innocence est toujours opprimÃe ? Si mon intÃgrità vous Ãtait confirmÃe, Je suis auprÃs de lui gagà pour serviteur, Vous me voudriez encor payer pour prÃcepteur : Oui, vous ne pourriez pas lui dire davantage Que ce que je lui dis pour le faire Ãtre sage. Monsieur, au nom de Dieu, lui fais-je assez souvent, Cessez de vous laisser conduire au premier vent ; RÃglez-vous ; regardez l’honnÃte homme de pÃre Que vous avez du ciel, comme on le considÃre ; Cessez de lui vouloir donner la mort au coeur, Et, comme lui, vivez en personne d’honneur. – Pandolfe – C’est parler comme il faut. Et que peut-il rÃpondre ? – Mascarille – RÃpondre ? Des chansons dont il me vient confondre. Ce n’est pas qu’en effet, dans le fond de son coeur, Il ne tienne de vous des semences d’honneur ; Mais sa raison n’est pas maintenant la maÃtresse. Si je pouvais parler avecque hardiesse, Vous le verriez dans peu soumis sans nul effort. – Pandolfe – Parle. – Mascarille – C’est un secret qui m’importerait fort S’il Ãtait dÃcouvert ; mais â¡ votre prudence Je le puis confier avec toute assurance. – Pandolfe – Tu dis bien. – Mascarille – Sachez donc que vos voeux sont trahis Par l’amour qu’une esclave imprime â¡ votre fils. – Pandolfe – On m’en avait parlà ; mais l’action me touche De voir que je l’apprenne encore par ta bouche. – Mascarille – Vous voyez si je suis le secret confident… – Pandolfe – Vraiment je suis ravi de cela. – Mascarille – Cependant A son devoir, sans bruit, dÃsirez vous le rendre ? Il faut… J’ai toujours peur qu’on nous vienne surprendre : Ce serait fait de moi, s’il savait ce discours. Il faut, dis-je, pour rompre â¡ toute chose cours, Acheter sourdement l’esclave idolâtrÃe, Et la faire passer en une autre contrÃe. Anselme a grand succÃs auprÃs de Trufaldin ; Qu’il aille l’acheter pour vous dÃs ce matin : AprÃs, si vous voulez en mes mains la remettre, Je connais des marchands, et puis bien vous promettre D’en retirer l’argent qu’elle pourra coËter, Et malgrà votre fils, de la faire Ãcarter ; Car enfin, si l’on veut qu’â¡ l’hymen il se range, A cet amour naissant il faut donner le change ; Et de plus, quand bien mÃme il serait rÃsolu, Qu’il aurait pris le joug que vous avez voulu, Cet autre objet, pouvant rÃveiller son caprice, Au mariage encor peut porter prÃjudice. – Pandolfe – C’est trÃs bien raisonner ; ce conseil me plaÃt fort… Je vois Anselme ; va, je m’en vais faire effort Pour avoir promptement cette esclave funeste, Et la mettre en tes mains pour achever le reste. – Mascarille – (seul.) Bon ; allons avertir mon maÃtre de ceci. Vive la fourberie, et les fourbes aussi. ———– ScÃne X. – Hippolyte, Mascarille. – Hippolyte – Oui, traÃtre, c’est ainsi que tu me rends service ! Je viens de tout entendre, et voir ton artifice : A moins que de cela, l’eussÃ-je soupÃonnà ? Tu couches d’imposture (3), et tu m’en as donnÃ. Tu m’avais promis, lâche, et j’avais lieu d’attendre Qu’on te verrait servir mes ardeurs pour LÃandre ; Que du choix de LÃlie, oË l’on veut m’obliger, Ton adresse et tes soins sauraient me dÃgager ; Que tu m’affranchirais du projet de mon pÃre : Et cependant ici tu fais tout le contraire ! Mais tu t’abuseras ; je sais un sËr moyen Pour rompre cet achat oË tu pousses si bien ; Et je vais de ce pas… – Mascarille – Ah ! que vous Ãtes prompte ! La mouche tout d’un coup â¡ la tÃte vous monte (4), Et, sans considÃrer s’il a raison ou non, Votre esprit contre moi fait le petit dÃmon. J’ai tort, et je devrais, sans finir mon ouvrage, Vous faire dire vrai, puisque ainsi l’on m’outrage. – Hippolyte – Par quelle illusion penses-tu m’Ãblouir ? TraÃtre, peux-tu nier ce que je viens d’ouÃr ? – Mascarille – Non. Mais il faut savoir que tout cet artifice Ne va directement qu’â¡ vous rendre service ; Que ce conseil adroit, qui semble Ãtre sans fard, Jette dans le panneau l’un et l’autre vieillard (5) ; Que mon soin par leurs mains ne veut avoir CÃlie, Qu’â¡ dessein de la mettre au pouvoir de LÃlie ; Et faire que, l’effet de cette invention Dans le dernier excÃs portant sa passion, Anselme, rebutà de son prÃtendu gendre, Puisse tourner son choix du cÃtà de LÃandre. – Hippolyte – Quoi ! tout ce grand projet, qui m’a mise en courroux, Tu l’as formà pour moi, Mascarille ? – Mascarille – Oui, pour vous. Mais puisqu’on reconnaÃt si mal mes bons offices, Qu’il me faut de la sorte essuyer vos caprices, Et que, pour rÃcompense, on s’en vient, de hauteur, Me traiter de faquin, de lâche, d’imposteur, Je m’en vais rÃparer l’erreur que j’ai commise, Et dÃs ce mÃme pas rompre mon entreprise. – Hippolyte – (l’arrÃtant.) Eh ! ne me traite pas si rigoureusement, Et pardonne aux transports d’un premier mouvement. – Mascarille – Non, non, laissez-moi faire ; il est en ma puissance De dÃtourner le coup qui si fort vous offense. Vous ne vous plaindrez point de mes soins dÃsormais ; Oui, vous aurez mon maÃtre, et je vous le promets. – Hippolyte – Eh ! mon pauvre garÃon, que ta colÃre cesse ! J’ai mal jugà de toi, j’ai tort, je le confesse. (Tirant sa bourse.) Mais je veux rÃparer ma faute avec ceci. Pourrais-tu te rÃsoudre â¡ me quitter ainsi ? – Mascarille – Non, je ne le saurais, quelque effort que je fasse ; Mais votre promptitude est de mauvaise grâce. Apprenez qu’il n’est rien qui blesse un noble coeur Comme quand il peut voir qu’on le touche en l’honneur. – Hippolyte – Il est vrai, je t’ai dit de trop grosses injures : Mais que ces deux louis guÃrissent tes blessures. – Mascarille – Eh ! tout cela n’est rien ; je suis tendre â¡ ces coups. Mais dÃjâ¡ je commence â¡ perdre mon courroux ; Il faut de ses amis endurer quelque chose. – Hippolyte – Pourras-tu mettre â¡ fin ce que je me propose Et crois-tu que l’effet de tes desseins hardis Produise â¡ mon amour le succÃs que tu dis ? – Mascarille – N’ayez point pour ce fait l’esprit sur des Ãpines. J’ai des ressorts tout prÃts pour diverses machines ; Et quand ce stratagÃme â¡ nos voeux manquerait, Ce qu’il ne ferait pas, un autre le ferait. – Hippolyte – Crois qu’Hippolyte au moins ne sera pas ingrate. – Mascarille – L’espÃrance du gain n’est pas ce qui me flatte. – Hippolyte – Ton maÃtre te fait signe, et veut parler â¡ toi : Je te quitte ; mais songe â¡ bien agir pour moi. ———– ScÃne XI. – LÃlie, Mascarille. – LÃlie – Que diable fais-tu lâ¡ ? Tu me promets merveille ; Mais ta lenteur d’agir est pour moi sans pareille. Sans que mon bon gÃnie au-devant m’a poussÃ, DÃjâ¡ tout mon bonheur eËt Ãtà renversÃ. C’Ãtait fait de mon bien, c’Ãtait fait de ma joie, D’un regret Ãternel je devenais la proie ; Bref, si je ne me fusse en ces lieux rencontrÃ, Anselme avait l’esclave, et j’en Ãtais frustrà ; Il l’emmenait chez lui : mais j’ai parà l’atteinte, J’ai dÃtournà le coup, et tant fait que, par crainte, Le pauvre Trufaldin l’a retenue. – Mascarille – Et trois ; Quand nous serons â¡ dix, nous ferons une croix. C’Ãtait par mon adresse, à cervelle incurable, Qu’Anselme entreprenait cet achat favorable ; Entre mes propres mains on devait la livrer ; Et vos soins endiablÃs nous en viennent sevrer. Et puis pour votre amour je m’emploierais encore ! J’aimerais mieux cent fois Ãtre grosse pÃcore, Devenir cruche, chou, lanterne, loup-garou, Et que monsieur Satan vous vÃnt tordre le cou. – LÃlie – (seul.) Il nous le faut mener en quelque hÃtellerie, Et faire sur les pots dÃcharger sa furie. ACTE II. ——– ScÃne premiÃre. – LÃlie, Mascarille. – Mascarille – A vos dÃsirs enfin il a fallu se rendre : Malgrà tous mes serments, je n’ai pu m’en dÃfendre, Et pour vos intÃrÃts, que je voulais laisser, En de nouveaux pÃrils viens de m’embarrasser. Je suis ainsi facile ; et si de Mascarille Madame la nature avait fait une fille, Je vous laisse â¡ penser ce que Ã’aurait ÃtÃ. Toutefois n’allez pas, sur cette sËretÃ, Donner de vos revers au projet que je tente, Me faire une bÃvue, et rompre mon attente. AuprÃs d’Anselme encor nous vous excuserons, Pour en pouvoir tirer ce que nous dÃsirons ; Mais si dorÃnavant votre imprudence Ãclate, Adieu, vous dis, mes soins pour l’objet qui vous flatte. – LÃlie – Non, je serai prudent, te dis-je, ne crains rien : Tu verras seulement… – Mascarille – Souvenez-vous-en bien ; J’ai commencà pour vous un hardi stratagÃme. Votre pÃre fait voir une paresse extrÃme A rendre par sa mort tous vos dÃsirs contents Je viens de le tuer (de parole, j’entends) : Je fais courir le bruit que d’une apoplexie Le bonhomme surpris a quittà cette vie. Mais avant, pour pouvoir mieux feindre ce trÃpas, J’ai fait que vers sa grange il a portà ses pas ; On est venu lui dire, et par mon artifice, Que les ouvriers qui sont aprÃs son Ãdifice, Parmi les fondements qu’ils en jettent encor, Avaient fait par hasard rencontre d’un trÃsor. Il a volà d’abord ; et comme â¡ la campagne Tout son monde â¡ prÃsent, hors nous deux, l’accompagne, Dans l’esprit d’un chacun je le tue aujourd’hui, Et produis un fantÃme enseveli pour lui. Jouez bien votre rÃle ; et pour mon personnage, Si vous apercevez que j’y manque d’un mot, Dites absolument que je ne suis qu’un sot. ———– ScÃne II. – LÃlie. – LÃlie – Son esprit, il est vrai, trouve une Ãtrange voie Pour adresser mes voeux au comble de leur joie ; Mais quand d’un bel objet on est bien amoureux, Que ne ferait-on pas pour devenir heureux ? Si l’amour est au crime une assez belle excuse, Il en peut bien servir â¡ la petite ruse Que sa flamme aujourd’hui me force d’approuver, Par la douceur du bien qui m’en doit arriver. Juste ciel ! qu’ils sont prompts ! Je les vois en parole (6). Allons nous prÃparer â¡ jouer notre rÃle. ———– ScÃne III. – Anselme, Mascarille. – Mascarille – La nouvelle a sujet de vous surprendre fort. – Anselme – Etre mort de la sorte ! – Mascarille – Il a certes, grand tort : Je lui sais mauvais grà d’une telle incartade. – Anselme – N’avoir pas seulement le temps d’Ãtre malade ! – Mascarille – Non, jamais homme n’eut si hâte de mourir. – Anselme – Et LÃlie ? – Mascarille – Il se bat, et ne peut rien souffrir : Il s’est fait en maints lieux contusion et bosse, Et veut accompagner son papa dans la fosse : Enfin, pour achever, l’excÃs de son transport M’a fait en grande hâte ensevelir le mort, De peur que cet objet, qui le rend hypocondre, A faire un vilain coup ne me l’allât semondre (7). – Anselme – N’importe, tu devais attendre jusqu’au soir ; Outre qu’encore un coup j’aurais voulu le voir, Qui tÃt ensevelit, bien souvent assassine ; Et tel est cru dÃfunt, qui n’en a que la mine. – Mascarille – Je vous le garantis trÃpassà comme il faut. Au reste, pour venir au discours de tantÃt, LÃlie (et l’action lui sera salutaire) D’un bel enterrement veut rÃgaler son pÃre, Et consoler un peu ce dÃfunt de son sort, Par le plaisir de voir faire honneur â¡ sa mort. Il hÃrite beaucoup ; mais comme en ses affaires Il se trouve assez neuf et ne voit encor guÃres, Que son bien la plupart n’est point en ces quartiers, Ou que ce qu’il y tient consiste en des papiers, Il voudrait vous prier, ensuite de l’instance D’excuser de tantÃt son trop de violence, De lui prÃter au moins pour ce dernier devoir… – Anselme – Tu me l’as dÃjâ¡ dit, et je m’en vais le voir. – Mascarille – (seul.) Jusques ici du moins tout va le mieux du monde. Tâchons â¡ ce progrÃs que le reste rÃponde ; Et, de peur de trouver dans le port un Ãcueil, conduisons le vaisseau de la main et de l’oeil. ———– ScÃne IV. – Anselme, LÃlie, Mascarille. – Anselme – Sortons ; je ne saurais qu’avec douleur trÃs forte Le voir empaquetà de cette Ãtrange sorte. Las ! en si peu de temps ! Il vivait ce matin ! – Mascarille – En peu de temps parfois on fait bien du chemin. – LÃlie – (pleurant.) Ah ! – Anselme – Mais quoi, cher LÃlie ! enfin il Ãtait homme. On n’a point pour la mort de dispense de Rome. – LÃlie – Ah ! – Anselme – Sans leur dire gare, elle abat les humains, Et contre eux de tout temps a de mauvais desseins. – LÃlie – Ah ! – Anselme – Ce fier animal, pour toutes les priÃres, Ne perdrait pas un coup de ses dents meurtriÃres ; Tout le monde y passe. – LÃlie – Ah ! – Mascarille – Vous avez beau prÃcher, Ce deuil enracinà ne se peut arracher. – Anselme – Si malgrà ces raisons, votre ennui persÃvÃre, Mon cher LÃlie, au moins faites qu’il se modÃre. – LÃlie – Ah ! – Mascarille – Il n’en fera rien, je connais son humeur. – Anselme – Au reste, sur l’avis de votre serviteur, J’apporte ici l’argent qui vous est nÃcessaire Pour faire cÃlÃbrer les obsÃques d’un pÃre. – LÃlie – Ah ! ah ! – Mascarille – Comme â¡ ce mot s’augmente sa douleur ! Il ne peut, sans mourir, songer â¡ ce malheur. – Anselme – Je sais que vous verrez aux papiers du bonhomme Que je suis dÃbiteur d’une plus grande somme : Mais quand par ces raisons je ne vous devrais rien, Vous pourriez librement disposer de mon bien. Tenez, je suis tout vÃtre, et le ferai paraÃtre. – LÃlie – (s’en allant.) Ah ! – Mascarille – Le grand dÃplaisir que sent monsieur mon maÃtre ! – Anselme – Mascarille, je crois qu’il serait â¡ propos Qu’il me fÃt de sa main un reÃu de deux mots. – Mascarille – Ah ! – Anselme – Des ÃvÃnements l’incertitude est grande. – Mascarille – Ah ! – Anselme – Faisons-lui signer le mot que je demande. – Mascarille – Las ! en l’Ãtat qu’il est, comment vous contenter ? Donnez-lui le loisir de se dÃsattrister ; Et quand ses dÃplaisirs prendront quelque allÃgeance, J’aurai soin d’en tirer d’abord votre assurance. Adieu. Je sens mon coeur qui se gonfle d’ennui, Et m’en vais tout mon soËl pleurer avecque lui. Ah ! – Anselme – (seul.) Le monde est rempli de beaucoup de traverses ; Chaque homme tous les jours en ressent de diverses ; Et jamais ici-bas… ———– ScÃne V. – Pandolfe, Anselme. – Anselme – Ah ! bon Dieu ! je frÃmi ! Pandolfe qui revient ! FËt-il bien endormi (8) ! Comme depuis sa mort sa face est amaigrie ! Las ! ne m’approchez pas de plus prÃs, je vous prie ! J’ai trop de rÃpugnance â¡ coudoyer un mort. – Pandolfe – D’oË peut donc provenir ce bizarre transport ? – Anselme – Dites-moi de bien loin quel sujet vous amÃne. Si pour me dire adieu vous prenez tant de peine, C’est trop de courtoisie, et vÃritablement Je me serais passà de votre compliment. Si votre âme est en peine, et cherche des priÃres, Las ! je vous en promets ; et ne m’effrayez guÃres ! Foi d’homme ÃpouvantÃ, je vais faire â¡ l’instant Prier tant Dieu pour vous que vous serez content. Disparaissez donc, je vous prie, Et que le ciel, par sa bontÃ, Comble de joie et de santà Votre dÃfunte seigneurie ! – Pandolfe – (riant.) Malgrà tout mon dÃpit, il m’y faut prendre part. – Anselme – Las ! pour un trÃpassà vous Ãtes bien gaillard. – Pandolfe – Est-ce jeu, dites-nous, ou bien si c’est folie, Qui traite de dÃfunt une personne en vie ? – Anselme – HÃlas ! vous Ãtes mort, et je viens de vous voir. – Pandolfe – Quoi ! j’aurais trÃpassà sans m’en apercevoir ? – Anselme – SitÃt que Mascarille en a dit la nouvelle, J’en ai senti dans l’âme une douleur mortelle. – Pandolfe – Mais, enfin, dormez-vous ? Ãtes-vous Ãveillà ? Me connaissez-vous pas ? – Anselme – Vous Ãtes habillà D’un corps aÃrien qui contrefait le vÃtre, Mais qui dans un moment peut devenir tout autre. Je crains fort de vous voir comme un gÃant grandir, Et tout votre visage affreusement laidir. Pour Dieu ! ne prenez point de vilaine figure ; J’ai prou (9) de ma frayeur en cette conjoncture. – Pandolfe – En une autre saison, cette naÃvetà Dont vous accompagnez votre crÃdulitÃ, Anselme, me serait un charmant badinage, Et j’en prolongerais le plaisir davantage : Mais, avec cette mort, un trÃsor supposÃ, Dont parmi les chemins on m’a dÃsabusÃ, Fomente dans mon âme un soupÃon lÃgitime. Mascarille est un fourbe, et fourbe fourbissime, Sur qui ne peuvent rien la crainte et le remords, Et qui pour ses desseins a d’Ãtranges ressorts. – Anselme – M’aurait-on jouà piÃce et fait supercherie ? Ah ! vraiment, ma raison, vous seriez fort jolie ! Touchons un peu pour voir : en effet, c’est bien lui. Malepeste du sot que je suis aujourd’hui ! De grâce, n’allez pas divulguer un tel conte ; On en ferait jouer quelque farce â¡ ma honte : Mais, Pandolfe, aidez-moi vous-mÃme â¡ retirer L’argent que j’ai donnà pour vous faire enterrer. – Pandolfe – De l’argent, dites-vous ? Ah ! voilâ¡ l’encolure ! Voilâ¡ le noeud secret de toute l’aventure ! A votre dam. Pour moi, sans m’en mettre en souci, Je vais faire informer de cette affaire ici Contre ce Mascarille ; et si l’on peut le prendre, Quoi qu’il puisse coËter, je le veux faire pendre. – Anselme – (seul.) Et moi, la bonne dupe â¡ trop croire un vaurien, Il faut donc qu’aujourd’hui je perde et sens et bien. Il me sied bien, ma foi, de porter tÃte grise, Et d’Ãtre encor si prompt â¡ faire une sottise ; D’examiner si peu sur un premier rapport… Mais je vois… ———– ScÃne VI. – LÃlie, Anselme. – LÃlie – (sans voir Anselme.) Maintenant, avec ce passe-port, Je puis â¡ Trufaldin rendre aisÃment visite. – Anselme – A ce que je puis voir, votre douleur vous quitte ? – LÃlie – Que dites-vous ? Jamais elle ne quittera Un coeur qui chÃrement toujours la gardera. – Anselme – Je reviens sur mes pas vous dire avec franchise Que tantÃt avec vous j’ai fait une mÃprise ; Que parmi ces louis, quoiqu’ils semblent trÃs beaux, J’en ai, sans y penser, mÃlà que je tiens faux ; Et j’apporte sur moi de quoi mettre en leur place. De nos faux monnayeurs l’insupportable audace Pullule en cet Etat d’une telle faÃon, Qu’on ne reÃoit plus rien qui soit hors de soupÃon. Mon Dieu ! qu’on ferait bien de les faire tous pendre ! – LÃlie – Vous me faites plaisir de les vouloir reprendre ; Mais je n’en ai point vu de faux, comme je croi. – Anselme – Je les connaÃtrai bien : montrez, montrez-les moi. Est-ce tout ? – LÃlie – Oui. – Anselme – Tant mieux. Enfin je vous raccroche, Mon argent bien-aimà ; rentrez dedans ma poche ; Et vous, mon brave escroc, vous ne tenez plus rien. Vous tuez donc des gens qui se portent fort bien ? Et qu’auriez-vous donc fait sur moi, chÃtif beau-pÃre ? Ma foi, je m’engendrais d’une belle maniÃre, Et j’allais prendre en vous un beau-fils fort discret ! Allez, allez mourir de honte et de regret. – LÃlie – (seul.) Il faut dire : J’en tiens. Quelle surprise extrÃme ! D’oË peut-il avoir su sitÃt le stratagÃme ? ———– ScÃne VII. – LÃlie, Mascarille. – Mascarille – Quoi ! vous Ãtiez sorti ? Je vous cherchais partout. Eh bien ! en sommes-nous enfin venus â¡ bout ? Je le donne en six coups au fourbe le plus brave. Câ¡, donnez-moi que j’aille acheter notre esclave : Votre rival aprÃs sera bien ÃtonnÃ. – LÃlie – Ah ! mon pauvre garÃon, la chance a bien tournà ! Pourrais-tu de mon sort deviner l’injustice ? – Mascarille – Quoi ! que serait-ce ? – LÃlie – Anselme, instruit de l’artifice, M’a repris maintenant tout ce qu’il nous prÃtait, Sous couleur de changer de l’or que l’on doutait. – Mascarille – Vous vous moquez peut-Ãtre ? – LÃlie – Il est trop vÃritable. – Mascarille – Tout de bon ? – LÃlie – Tout de bon : j’en suis inconsolable. Tu te vas emporter d’un courroux sans Ãgal. – Mascarille – Moi, Monsieur ! Quelque sot (10) : la colÃre fait mal, Et je veux me choyer, quoi qu’enfin il arrive. Que CÃlie, aprÃs tout, soit ou libre ou captive, Que LÃandre l’achÃte, ou qu’elle reste lâ¡, Pour moi, je m’en soucie autant que de cela. – LÃlie – Ah ! n’aye point pour moi si grande indiffÃrence, Et sois plus indulgent â¡ ce peu d’imprudence ! Sans ce dernier malheur, ne m’avoueras-tu pas Que j’avais fait merveille, et qu’en ce feint trÃpas J’Ãludais un chacun d’un deuil si vraisemblable, Que les plus clairvoyants l’auraient cru vÃritable ? – Mascarille – Vous avez en effet sujet de vous louer. – LÃlie – Et bien ! je suis coupable, et je veux l’avouer. Mais si jamais mon bien te fut considÃrable (11), RÃpare ce malheur, et me sois secourable. – Mascarille – Je vous baise les mains ; je n’ai pas le loisir. – LÃlie – Mascarille ! mon fils ! – Mascarille – Point. – LÃlie – Fais-moi ce plaisir. – Mascarille – Non, je n’en ferai rien. – LÃlie – Si tu m’es inflexible, Je m’en vais me tuer. – Mascarille – Soit ; il vous est loisible. – LÃlie – Je ne te puis flÃchir ? – Mascarille – Non. – LÃlie – Vois-tu le fer prÃt ? – Mascarille – Oui. – LÃlie – Je vais le pousser. – Mascarille – Faites ce qu’il vous plaÃt. – LÃlie – Tu n’auras pas regret de m’arracher la vie ? – Mascarille – Non. – LÃlie – Adieu Mascarille. – Mascarille – Adieu Monsieur LÃlie. – LÃlie – Quoi !… – Mascarille – Tuez-vous donc vite. Ah ! que de longs devis (12). – LÃlie – Tu voudrais bien, ma foi, pour avoir mes habits, Que je fisse le sot, et que je me tuasse. – Mascarille – Savais-je pas qu’enfin ce n’Ãtait que grimace ; Et, quoi que ces esprits jurent d’effectuer, Qu’on n’est point aujourd’hui si prompt â¡ se tuer ? ———– ScÃne VIII. – Trufaldin, LÃandre, LÃlie, Mascarille. (Trufaldin parle bas â¡ LÃandre dans le fond du thÃâtre.) – LÃlie – Que vois-je ? mon rival et Trufaldin ensemble ! Il achÃte CÃlie ; ah ! de frayeur je tremble. – Mascarille – Il ne faut point douter qu’il fera ce qu’il peut, Et s’il a de l’argent, qu’il pourra ce qu’il veut. Pour moi, j’en suis ravi. Voilâ¡ la rÃcompense De vos brusques erreurs, de votre impatience. – LÃlie – Que dois-je faire ? dis ; veuille me conseiller. – Mascarille – Je ne sais. – LÃlie – Laisse-moi, je vais le quereller. – Mascarille – Qu’en arrivera-t-il ? – LÃlie – Que veux-tu que je fasse Pour empÃcher ce coup ? – Mascarille – Allez, je vous fais grâce ; Je jette encore un oeil pitoyable sur vous. Laissez-moi l’observer ; par des moyens plus doux Je vais, comme je le crois, savoir ce qu’il projette. (LÃlie sort.) – Trufaldin – (â¡ LÃandre.) Quand on viendra tantÃt, c’est une affaire faite. (Trufaldin sort.) – Mascarille – (â¡ part, en s’en allant.) Il faut que je l’attrape, et que de ses desseins Je sois le confident, pour mieux les rendre vains. – LÃandre – (seul.) Grâces au ciel, voilâ¡ mon bonheur hors d’atteinte ; J’ai su me l’assurer, et je n’ai plus de crainte. Quoi que dÃsormais puisse entreprendre un rival, Il n’est plus en pouvoir de me faire du mal. ———– ScÃne IX. – LÃandre, Mascarille. – Mascarille – (dit ces deux vers dans la maison, et entre sur le thÃâtre.) Ahi ! â¡ l’aide ! au meurtre ! au secours ! on m’assomme ! Ah ! ah ! ah ! ah ! ah ! ah ! O traÃtre ! à bourreau d’homme ! – LÃandre – D’oË procÃde cela ? Qu’est-ce ? que te fait-on ? – Mascarille – On vient de me donner deux cents coups de bâton. – LÃandre – Qui ? – Mascarille – LÃlie. – LÃandre – Et pourquoi ? – Mascarille – Pour une bagatelle Il me chasse, et me bat d’une faÃon cruelle. – LÃandre – Ah ! vraiment il a tort. – Mascarille – Mais, ou je ne pourrai, Ou je jure bien fort que je m’en vengerai. Oui, je te ferai voir, batteur que Dieu confonde, Que ce n’est pas pour rien qu’il faut rouer le monde ; Que je suis un valet, mais fort homme d’honneur, Et qu’aprÃs m’avoir eu quatre ans pour serviteur, Il ne me fallait pas payer en coups de gaules, Et me faire un affront si sensible aux Ãpaules. Je te le dis encor, je saurai m’en venger : Une esclave te plaÃt, tu voulais m’engager A la mettre en tes mains, et je veux faire en sorte Qu’un autre te l’enlÃve, ou le diable m’emporte. – LÃandre – Ecoute, Mascarille, et quitte ce transport. Tu m’as plu de tout temps, et je souhaitais fort Qu’un garÃon comme toi, plein d’esprit et fidÃle, A mon service un jour pËt attacher son zÃle : Enfin, si le parti te semble bon pour toi, Si tu veux me servir, je t’arrÃte avec moi. – Mascarille – Oui, Monsieur, d’autant mieux que le destin propice M’offre â¡ me bien venger, en vous rendant service ; Et que, dans mes efforts pour vos contentements, Je puis â¡ mon brutal trouver des châtiments : De CÃlie, en un mot, par mon adresse extrÃme… – LÃandre – Mon amour s’est rendu cet office lui-mÃme. Enflammà d’un objet qui n’a point de dÃfaut, Je viens de l’acheter moins encor qu’il ne vaut. – Mascarille – Quoi ! CÃlie est â¡ vous. – LÃandre – Tu la verrais paraÃtre, Si de mes actions j’Ãtais tout â¡ fait maÃtre : Mais quoi ! mon pÃre l’est : comme il a volontÃ, Ainsi que je l’apprends d’un paquet apportÃ,