Pierre LouËs
LES CHANSONS DE BILITIS roman lyrique
CE PETIT LIVRE D’AMOUR ANTIQUE EST Dâ¦DI⦠RESPECTUEUSEMENT AUX JEUNES FILLES DE LA SOCIET⦠FUTURE
VIE DE BILITIS Bilitis naquit au commencement du sixiÃme siÃcle avant notre Ãre, dans un village de montagnes situà sur les bords du MÃlas, vers l’orient de la Pamphylie. Ce pays est grave et triste, assombri par des forÃts profondes, dominà par la masse Ãnorme du Taurus; des sources pÃtrifiantes sortent de la roche; de grands lacs salÃs sÃjournent sur les hauteurs, et les vallÃes sont pleines de silence. Elle Ãtait fille d’un Grec et d’une PhÃnicienne. Elle semble n’avoir pas connu son pÃre, car il n’est mÃlà nulle part aux souvenirs de son enfance. Peut-Ãtre mÃme Ãtait-il mort avant qu’elle ne vint au monde. Autrement on s’expliquerait mal comment elle porte un nom phÃnicien que sa mÃre seule lui put donner. Sur cette terre presque dÃserte, elle vivait d’une vie tranquille avec sa mÃre et ses soeurs. D’autres jeunes filles, qui furent ses amies, habitaient non loin de lâ¡. Sur les pentes boisÃes du Taurus, des bergers paissaient leurs troupeaux. Le matin, dÃs le chant du coq, elle se levait, allait â¡ l’Ãtable, menait boire les animaux et s’occupait de traire leur lait. Dans la journÃe, s’il pleuvait, elle restait au gynÃcÃe et filait sa quenouille de laine. Si le temps Ãtait beau, elle courait dans les champs et faisait avec ses compagnes mille jeux dont elle nous parle. Bilitis avait â¡ l’Ãgard des Nymphes une piÃtà trÃs ardente. Les sacrifices qu’elle offrait, presque toujours Ãtaient pour leur fontaine. Souvent mÃme elle leur parlait, mais il semble bien qu’elle ne les a jamais vues, tant elle rapporte avec vÃnÃration les souvenirs d’un vieillard qui autrefois les avait surprises. La fin de son existence pastorale fut attristÃe par un amour sur lequel nous savons peu de chose bien qu’elle en parle longuement. Elle cessa de le chanter dÃs qu’il devint malheureux. Devenue mÃre d’un enfant qu’elle abandonna, Bilitis quitta la Pamphylie, d’une faÃon assez mystÃrieuse, et ne revit jamais le lieu de sa naissance. Nous la retrouvons ensuite â¡ MytilÃne oË elle Ãtait venue par la route de mer en longeant les belles cÃtes d’Asie. Elle avait â¡ peine seize ans, selon les conjectures de M. Heim qui Ãtablit avec vraisemblance quelques dates dans la vie de Bilitis, d’aprÃs un vers qui fait allusion â¡ la mort de Pittakos. Lesbos Ãtait alors le centre du monde. ¿ mi-chemin, entre la belle Attique et la fastueuse Lydie, elle avait pour capitale une cità plus ÃclairÃe qu’AthÃnes et plus corrompue que Sardes: MytilÃne, bâtie sur une presqu’Ãle en vue des cÃtes d’Asie. La mer bleue entourait la ville. De la hauteur des temples on distinguait â¡ l’horizon la ligne blanche d’AtarnÃe qui Ãtait le port de Pergame. Les rues Ãtroites et toujours encombrÃes par la foule resplendissaient d’Ãtoffes bariolÃes, tuniques de pourpre et d’hyacinthe, cyclas de soies transparentes, bassaras traÃnantes dans la poussiÃre des chaussures jaunes. Les femmes portaient aux oreilles de grands anneaux d’or enfilÃs de perles brutes, et aux bras des bracelets d’argent massif grossiÃrement ciselÃs en relief. Les hommes eux-mÃmes avaient la chevelure brillante et parfumÃe d’huiles rares. Les chevilles des Grecques Ãtaient nues dans le cliquetis des periscelis, larges serpents de mÃtal clair qui tintaient sur les talons; celles des Asiatiques se mouvaient en des bottines molles et peintes. Par groupes, les passants stationnaient devant des boutiques tout en faÃade et oË l’on ne vendait que l’Ãtalage: tapis de couleurs sombres, housses brochÃes de fils d’or, bijoux d’ambre et d’ivoire, selon les quartiers. L’animation de MytilÃne ne cessait pas avec le jour; il n’y avait pas d’heure si tardive, oË l’on n’entendÃt, par les portes ouvertes, des sons joyeux d’instruments, des cris de femmes, et le bruit des danses. Pittakos mÃme, qui voulait donner un peu d’ordre â¡ cette perpÃtuelle dÃbauche, fit une loi qui dÃfendait aux joueuses de flËtes trop fatiguÃes de s’employer dans les festins nocturnes; mais cette loi ne fut jamais sÃvÃre. Dans une sociÃtà oË les maris sont la nuit si occupÃs par le vin et les danseuses, les femmes devaient fatalement se rapprocher et trouver entre elles la consolation de leur solitude. De lâ¡ vint qu’elles s’attendrirent â¡ ces amours dÃlicates, auxquelles l’antiquità donnait dÃjâ¡ leur nom, et qui entretiennent, quoi qu’en pensent les hommes, plus de passion vraie que de vicieuse recherche. Alors, Sapphà Ãtait encore belle. Bilitis l’a connue, et elle nous parle d’elle sous le nom de Psappha quelle portait â¡ Lesbos. Sans doute ce fut cette femme admirable qui apprit â¡ la petite Pamphylienne l’art de chanter en phrases rhythmÃes, et de conserver â¡ la postÃrità le souvenir des Ãtres chers. Malheureusement Bilitis donne peu de dÃtails sur cette figure aujourd’hui si mal connue, et il y a lieu de le regretter, tant le moindre mot eËt Ãtà prÃcieux touchant la grande Inspiratrice. En revanche elle nous a laissà en une trentaine d’ÃlÃgies l’histoire de son amitià avec une jeune fille de son âge qui se nommait Mnasidika, et qui vÃcut avec elle. DÃjâ¡ nous connaissions le nom de cette jeune fille par un vers de Sapphà oË sa beautà est exaltÃe; mais ce nom mÃme Ãtait douteux, et Bergk Ãtait prÃs de penser qu’elle s’appelait simplement MnaÃs. Les chansons qu’on lira plus loin prouvent que cette hypothÃse doit Ãtre abandonnÃe. Mnasidika semble avoir Ãtà une petite fille trÃs douce et trÃs innocente, un de ces Ãtres charmants qui ont pour mission de se laisser adorer, d’autant plus chÃris qu’ils font moins d’efforts pour mÃriter ce qu’on leur donne. Les amours sans motifs durent le plus longtemps: celui-ci dura dix annÃes. On verra comment il se rompit par la faute de Bilitis, dont la jalousie excessive ne comprenait aucun Ãclectisme. Quand elle sentit que rien ne la retenait plus â¡ MytilÃne, sinon des souvenirs douloureux, Bilitis fÃt un second voyage: elle se rendit â¡ Chypre, Ãle grecque et phÃnicienne comme la Pamphylie elle-mÃme et qui dut lui rappeler souvent l’aspect de son pays natal. Ce fut lâ¡ que Bilitis recommenÃa pour la troisiÃme fois sa vie, et d’une faÃon qu’il me sera plus difficile de faire admettre si l’on na pas encore compris â¡ quel point l’amour Ãtait chose sainte chez les peuples antiques. Les courtisanes d’Amathonte n’Ãtaient pas comme les nÃtres, des crÃatures en dÃchÃance exilÃes de toute sociÃtà mondaine; c’Ãtaient des filles issues des meilleures familles de la citÃ, et qui remerciaient Aphrodità de la beautà qu’elle leur avait donnÃe, en consacrant au service de son culte cette beautà reconnaissante. Toutes les villes qui possÃdaient comme celles de Chypre un temple riche en courtisanes avaient â¡ l’Ãgard de ces femmes les mÃmes soins respectueux. L’incomparable histoire de PhrynÃ, telle qu’AthÃnÃe nous l’a transmise, donnera quelque idÃe d’une telle vÃnÃration. Il n’est pas vrai qu’HypÃride eut besoin de la mettre nue pour flÃchir l’ArÃopage, et pourtant le crime Ãtait grand: elle avait assassinÃ. L’orateur ne dÃchira que le haut de sa tunique et rÃvÃla seulement les seins. Et il supplia les Juges ´ de ne pas mettre â¡ mort la prÃtresse et l’inspirÃe d’Aphrodità ª . Au contraire des autres courtisanes qui sortaient vÃtues de cyclas transparentes â¡ travers lesquelles paraissaient tous les dÃtails de leur corps, Phrynà avait coutume de s’envelopper mÃme les cheveux dans un de ces grands vÃtements plissÃs dont les figurines de Tanagre nous ont conservà la grâce. Nul, s’il n’Ãtait de ses amis, n’avait vu ses bras ni ses Ãpaules, et jamais elle ne se montrait dans la piscine des bains publics. Mais un jour il se passa une chose extraordinaire. C’Ãtait le jour des fÃtes d’Eleusis, vingt mule personnes, venues de tous les pays de la GrÃce, Ãtaient assemblÃes sur la plage, quand Phrynà s’avanÃa prÃs des vagues: elle Ãta son vÃtement, elle dÃfit sa ceinture, elle Ãta mÃme sa tunique de dessous, ´ elle dÃroula tous ses cheveux et elle entra dans la mer ª. Et dans cette foule il y avait PraxitÃle qui d’aprÃs cette dÃesse vivante dessina l’Aphrodità de Cnide; et Apelle qui entrevit la forme de son AnadyomÃne. Peuple admirable, devant qui la Beautà pouvait paraÃtre nue sans exciter le rire ni la fausse honte! Je voudrais que cette histoire fut celle de Bilitis, car, en traduisant ses Chansons, je me suis pris â¡ aimer l’amie de Mnasidika. Sans doute sa vie fut tout aussi merveilleuse. Je regrette seulement qu’on n’en ait pas parlà davantage et que les auteurs anciens, ceux du moins qui ont survÃcu, soient si pauvres de renseignements sur sa personne. PhilodÃme, qui l’a pillÃe deux fois, ne mentionne pas mÃme son nom. ¿ dÃfaut de belles anecdotes, je prie qu’on veuille bien se contenter des dÃtails qu’elle nous donne elle-mÃme sur sa vie de courtisane. Elle fut courtisane, cela n’est pas niable; et mÃme ses derniÃres chansons prouvent que si elle avait les vertus de sa vocation, elle en avait aussi les pires faiblesses. Mais je ne veux connaÃtre que ses vertus. Elle Ãtait pieuse, et mÃme pratiquante. Elle demeura fidÃle au temple, tant qu’Aphrodità consentit â¡ prolonger la jeunesse de sa plus pure adoratrice. Le jour oË elle cessa d’Ãtre aimÃe, elle cessa d’Ãcrire, dit-elle. Pourtant il est difficile d’admettre que les chansons de Pamphylie aient Ãtà Ãcrites â¡ l’Ãpoque oË elles ont Ãtà vÃcues. Comment une petite bergÃre de montagnes eËt-elle appris â¡ scander ses vers selon les rythmes difficiles de la tradition Ãolienne? On trouvera plus vraisemblable que, devenue vieille, elle se plut â¡ chanter pour elle-mÃme les souvenirs de sa lointaine enfance. Nous ne savons rien sur cette derniÃre pÃriode de sa vie. Nous ne savons mÃme pas â¡ quel âge elle mourut. Son tombeau a Ãtà retrouvà par M. G. Heim â¡ Palaeo-Limisso, sur le bord d’une route antique, non loin des ruines d’Amathonte. Ces ruines ont presque disparu depuis trente ans, et les pierres de la maison oË peut-Ãtre vÃcut Bilitis pavent aujourd’hui les quais de Port-SaÃd. Mais le tombeau Ãtait souterrain, selon la coutume phÃnicienne, et il avait Ãchappà mÃme aux voleurs de trÃsors. M. Heim y pÃnÃtra par un puits Ãtroit comblà de terre, au fond duquel il rencontra une porte murÃe qu’il fallut dÃmolir. Le caveau spacieux et bas, pavà de dalles de calcaire, avait quatre murs recouverts par des plaques d’amphibolite noire, oË Ãtaient gravÃes en capitales primitives toutes les chansons qu’on va lire, â¡ part les trois Ãpitaphes qui dÃcoraient le sarcophage. C’Ãtait lâ¡ que reposait l’amie de Mnasidika, dans un grand cercueil de terre cuite, sous un couvercle modelà par un statuaire dÃlicat qui avait figurà dans l’argile le visage de la morte : les cheveux Ãtaient peints en noir, les yeux â¡ demi fermÃs et prolongÃs au crayon comme si elle eËt Ãtà vivante, et la joue â¡ peine attendrie par un sourire lÃger qui naissait des lignes de la bouche. Rien ne dira jamais ce qu’Ãtaient ces lÃvres, â¡ la fois nettes et rebordÃes, molles et fines, unies l’une â¡ l’autre, et comme enivrÃes de se joindre. Les traits cÃlÃbres de Bilitis ont Ãtà souvent reproduits par les artistes de l’Ionie, et le musÃe du Louvre possÃde une terre cuite de Rhodes qui en est le plus parfait monument, aprÃs le buste de Larnaka. Quand on ouvrit la tombe, elle apparut dans l’Ãtat oË une main pieuse l’avait rangÃe, vingt-quatre siÃcles auparavant. Des fioles de parfums pendaient aux chevilles de terre, et l’une d’elles, aprÃs si longtemps, Ãtait encore embaumÃe. Le miroir d’argent poli oË Bilitis s’Ãtait vue, le stylet qui avait traÃnà le fard bleu sur ses paupiÃres, furent retrouvÃs â¡ leur place. Une petite Astartà nue, relique â¡ jamais prÃcieuse, veillait toujours sur le squelette ornà de tous ses bijoux d’or et blanc comme une branche de neige, mais si doux et si fragile qu’au moment oË on l’effleura, il se confondit en poussiÃre. PIERRE LOUYS Constantine, AoËt 1894. I BUCOLIQUES EN PAMPHYLIE
THâ¦OCRITE.
1 — L’ARBRE Je me suis dÃvÃtue pour monter â¡ un arbre; mes cuisses nues embrassaient l’Ãcorce lisse et humide; mes sandales marchaient sur les branches. Tout en haut, mais encore sous les feuilles et â¡ l’ombre de la chaleur, je me suis mise â¡ cheval sur une fourche ÃcartÃe en balanÃant mes pieds dans le vide. Il avait plu. Des gouttes d’eau tombaient et coulaient sur ma peau. Mes mains Ãtaient tachÃes de mousse, et mes orteils Ãtaient rouges, â¡ cause des fleurs ÃcrasÃes. Je sentais le bel arbre vivre quand le vent passait au travers; alors je serrais mes jambes davantage et j’appliquais mes lÃvres ouvertes sur la nuque chevelue d’un rameau. 2 — CHANT PASTORAL Il faut chanter un chant pastoral, invoquer Pan, dieu du vent d’ÃtÃ. Je garde mon troupeau et SÃlÃnis le sien, â¡ l’ombre ronde d’un olivier qui tremble. SÃlÃnis est couchÃe sur le prÃ. Elle se lÃve et court, ou cherche des cigales, ou cueille des fleurs avec des herbes, ou lave son visage dans l’eau fraÃche du ruisseau. Moi, j’arrache la laine au dos blond des moutons pour en garnir ma quenouille, et je file. Les heures sont lentes. Un aigle passe dans le ciel. L’ombre tourne: changeons de place la corbeille de figues et la jarre de lait. Il faut chanter un chant pastoral, invoquer Pan, dieu du vent d’ÃtÃ. 3 — PAROLES MATERNELLES Ma mÃre me baigne dans l’obscuritÃ, elle m’habille au grand soleil et me coiffe dans la lumiÃre; mais si je sors au clair de lune, elle serre ma ceinture et fait un double noeud. Elle me dit: ´ Joue avec les vierges, danse avec les petits enfants; ne regarde pas par la fenÃtre; fuis la parole des jeunes hommes et redoute le conseil des veuves. ´ Un soir, quelqu’un, comme pour toutes, te viendra prendre sur le seuil au milieu d’un grand cortÃge de tympanons sonores et de flËtes amoureuses. ´ Ce soir-lâ¡, quand tu t’en iras, BilitÃ, tu me laisseras trois gourdes de fiel: une pour le matin, une pour le midi, et la troisiÃme, la plus amÃre, la troisiÃme pour les jours de fÃte. ª 4 — LES PIEDS NUS J’ai les cheveux noirs, le long de mon dos, et une petite calotte ronde. Ma chemise est de laine blanche. Mes jambes fermes brunissent au soleil. Si j’habitais la ville, j’aurais des bijoux d’or, et des chemises dorÃes et des souliers d’argent… Je regarde mes pieds nus, dans leurs souliers de poussiÃre. Psophis! viens ici, petite pauvre! porte-moi jusqu’aux sources, lave mes pieds dans tes mains et presse des olives avec des violettes pour les parfumer sur les fleurs. Tu seras aujourd’hui mon esclave; tu me suivras et tu me serviras, et â¡ la fin de la journÃe je te donnerai, pour ta mÃre, des lentilles du jardin de la mienne. 5 — LE VIEILLARD ET LES NYMPHES Un vieillard aveugle habite la montagne. Pour avoir regardà les nymphes, ses yeux sont morts, voilâ¡ longtemps. Et depuis, son bonheur est un souvenir lointain. ´ Oui, je les ai vues, m’a-t-il dit. Helopsychria, Limnanthis; elles Ãtaient debout, prÃs du bord, dans l’Ãtang vert de Physos. L’eau brillait plus haut que leurs genoux. ´ Leurs nuques se penchaient sous les cheveux longs. Leurs ongles Ãtaient minces comme des ailes de cigales. Leurs mamelons Ãtaient creux comme des calices de jacinthes. ´ Elles promenaient leurs doigts sur l’eau et tiraient de la vase invisible les nÃnufars â¡ longue tige. Autour de leurs cuisses sÃparÃes, des cercles lents s’Ãlargissaient… ª 6 — CHANSON ´ Torti-tortue, que fais-tu lâ¡ au milieu? — Je dÃvide la laine et le fil de Milet. — HÃlas HÃlas! Que ne viens-tu danser? — J’ai beaucoup de chagrin. J’ai beaucoup de chagrin. — Torti-tortue, que fais-tu lâ¡ au milieu? — Je taille un roseau pour la flËte funÃbre. — HÃlas! HÃlas! Qu’est-il arrivÃ! — Je ne le dirai pas. Je ne le dirai pas. — Torti-tortue, que fais-tu lâ¡ au milieu? — Je presse les olives pour l’huile de la stÃle. — HÃlas! HÃlas! Et qui donc est mort? — Peux-tu le demander? Peux-tu le demander? — Torti-tortue, que fais-tu lâ¡ au milieu? — Il est tombà dans la mer… — HÃlas! HÃlas! et comment cela? — Du haut des chevaux blancs. Du haut des chevaux blancs. ª 7 — LE PASSANT Comme j’Ãtais assise le soir devant la porte de la maison, un jeune homme est venu â¡ passer. Il m’a regardÃe, j’ai tournà la tÃte. Il m’a parlÃ, je n’ai pas rÃpondu. Il a voulu m’approcher. J’ai pris une faulx contre le mur et je lui aurais fendu la joue s’il avait avancà d’un pas. Alors reculant un peu, il se mit â¡ sourire et souffla vers moi dans sa main, disant. ´ ReÃois le baiser. ª Et j’ai crià et j’ai pleurÃ. Tant, que ma mÃre est accourue. InquiÃte, croyant que j’avais Ãtà piquÃe par un scorpion. Je pleurais: ´ Il m’a embrassÃe. ª Ma mÃre aussi m’a embrassÃe et m’a emportÃe dans ses bras. 8 — LE Râ¦VEIL Il fait dÃjâ¡ grand jour. Je devrais Ãtre levÃe. Mais le sommeil du matin est doux et la chaleur du lit me retient blottie. Je veux rester couchÃe encore. Tout â¡ l’heure j’irai dans l’Ãtable. Je donnerai aux chÃvres de l’herbe et des fleurs, et l’outre d’eau fraÃche tirÃe du puits, oË je boirai en mÃme temps qu’elles. Puis je les attacherai au poteau pour traire leurs douces mamelles tiÃdes; et si les chevreaux n’en sont pas jaloux, je sucerai avec eux les tettes assouplies. Amaltheia n’a-t-elle pas nourri Dzeus? J’irai donc. Mais pas encore. Le soleil s’est levà trop tÃt et ma mÃre n’est pas ÃveillÃe. 9 — LA PLUIE La pluie fine a mouillà toutes choses, trÃs doucement, et en silence. Il pleut encore un peu. Je vais sortir sous les arbres. Pieds nus, pour ne pas tacher mes chaussures. La pluie au printemps est dÃlicieuse. Les branches chargÃes de fleurs mouillÃes ont un parfum qui m’Ãtourdit. On voit briller au soleil la peau dÃlicate des Ãcorces. HÃlas! que de fleurs sur la terre! Ayez pitià des fleurs tombÃes. Il ne faut pas les balayer et les mÃler dans la boue; mais les conserver aux abeilles. Les scarabÃes et les limaces traversent le chemin entre les flaques d’eau; je ne veux pas marcher sur eux, ni effrayer ce lÃzard dorà qui s’Ãtire et cligne des paupiÃres. 10 — LES FLEURS Nymphes des bois et des fontaines, Amies bienfaisantes, je suis lâ¡. Ne vous cachez pas, mais venez m’aider car je suis fort en peine de tant de fleurs cueillies. Je veux choisir dans toute la forÃt une pauvre hamadryade aux bras levÃs, et dans ses cheveux couleur de feuilles je piquerai ma plus lourde rose. Voyez: j’en ai tant pris aux champs que je ne pourrai les rapporter si vous ne m’en faites un bouquet. Si vous refusez, prenez garde: Celle de vous qui a les cheveux orangÃs je l’ai vue hier saillie comme une bÃte par le satyre LamprosathÃs, et je dÃnoncerai l’impudique. 11 — IMPATIENCE Je me jetai dans ses bras en pleurant, et longtemps elle sentit couler mes larmes chaudes sur son Ãpaule, avant que ma douleur me laissât parler: ´ HÃlas! je ne suis qu’une enfant; les jeunes hommes ne me regardent pas. Quand aurai-je comme toi des seins de jeune fille qui gonflent la robe et tentent le baiser? ´ Nul n’a les yeux curieux si ma tunique glisse; nul ne ramasse une fleur qui tombe de mes cheveux; nul ne dit qu’il me tuera si ma bouche se donne â¡ un autre. ª Elle m’a rÃpondu tendrement: ´ Bilitis, petite vierge, tu cries comme une chatte â¡ la lune et tu t’agites sans raison. Les filles les plus impatientes ne sont pas les plus tÃt choisies. ª 12 — LES COMPARAISONS Bergeronnette, oiseau de Kypris, chante avec nos premiers dÃsirs! Le corps nouveau des jeunes filles se couvre de fleurs comme la terre. La nuit de tous nos rÃves approche et nous en parlons entre nous. Parfois nous comparons ensemble nos beautÃs si diffÃrentes, nos chevelures dÃjâ¡ longues, nos jeunes seins encore petits, nos pubertÃs rondes comme des cailles et blotties sous la plume naissante. Hier je luttai de la sorte contre Melanthà mon aÃnÃe. Elle Ãtait fiÃre de sa poitrine qui venait de croÃtre en un mois, et, montrant ma tunique droite, elle m’avait appelÃe: petite enfant. Pas un homme ne pouvait nous voir, nous nous mÃmes nues devant les filles, et, si elle vainquit sur un point, je l’emportait de loin sur les autres. Bergeronnette, oiseau de Kypris, chante avec nos premiers dÃsirs! 13 — LA RIVI»RE DE LA FOR T Je me suis baignÃe seule dans la riviÃre de la forÃt. Sans doute je faisais peur aux naÃades car je les devinais â¡ peine et de trÃs loin, sous l’eau obscure. Je les ai appelÃes. Pour leur ressembler tout â¡ fait, j’ai tressà derriÃre ma nuque des iris noirs comme mes cheveux, avec des grappes de giroflÃes jaunes. D’une longue herbe flottante, je me suis fait une ceinture verte, et pour la voir je pressais mes seins en penchant un peu la tÃte. Et j’appelais: ´ NaÃades! naÃades! jouez avec moi, soyez bonnes. ª Mais les naÃades sont transparentes, et peut-Ãtre, sans le savoir, j’ai caressà leurs bras lÃgers. 14 — PHITTA MELIAÅ DÃs que le soleil sera moins brËlant nous irons jouer sur les bords du fleuve, nous lutterons pour un crocos frÃle et pour une jacinthe mouillÃe. Nous ferons le collier de la ronde et la guirlande de la course. Nous nous prendrons par la main et par la queue de nos tuniques. Phitta MeliaÃ! donnez-nous du miel. Phitta NaÃades! baignez-nous avec vous. Phitta MÃliades! donnez l’ombre douce â¡ nos corps en sueur. Et nous vous offrirons, Nymphes bienfaisantes, non le vin honteux, mais l’huile et le lait et des chÃvres aux cornes courbes. 15 — LA BAGUE SYMBOLIQUE Les voyageurs qui reviennent de Sardes parlent des colliers et des pierres qui chargent les femmes de Lydie, du sommet de leurs cheveux jusqu’â¡ leurs pieds fardÃs. Les filles de mon pays n’ont ni bracelets ni diadÃmes, mais leur doigt porte une bague d’argent, et sur le chaton est gravà le triangle de la dÃesse. Quand elles tournent la pointe en dehors cela veut dire: Psychà ⡠prendre. Quand elles tournent la pointe en dedans, cela veut dire: Psychà prise. Les hommes y croient. Les femmes non. Pour moi je ne regarde guÃre de quel cÃtà la pointe se tourne, car Psychà se dÃlivre aisÃment. Psychà est toujours â¡ prendre. 16 — LES DANSES AU CLAIR DE LUNE Sur l’herbe molle, dans la nuit, les jeunes filles aux cheveux de violettes ont dansà toutes ensemble, et l’une de deux faisait les rÃponses de l’amant. Les vierges ont dit: ´ Nous ne sommes pas pour vous. ª Et comme si elles Ãtaient honteuses elles cachaient leur virginitÃ. Un aegipan jouait de la flËte sous les arbres. Les autres ont dit: ´ Vous nous viendrez chercher. ª Elles avaient serrà leurs robes en tunique d’homme, et elles luttaient sans Ãnergie en mÃlant leurs jambes dansantes. Puis chacune se disant vaincue, a pris son amie par les oreilles comme une coupe par les deux anses, et, la tÃte penchÃe, a bu le baiser. 17 — LES PETITS ENFANTS La riviÃre est presque â¡ sec; les joncs flÃtris meurent dans la fange; l’air brËle, et loin des berges creuses, un ruisseau clair coule sur les graviers. C’est lâ¡ que du matin au soir les petits enfants nus viennent jouer. Ils se baignent, pas plus haut que leurs mollets, tant la riviÃre est basse. Mais ils marchent dans le courant, et glissent quelquefois sur les roches, et les petits garÃons jettent de l’eau sur les petites filles qui rient. Et quand une troupe de marchands qui passe, mÃne boire au fleuve les Ãnormes boeufs blancs, ils croisent leurs mains derriÃre eux et regardent les grandes bÃtes. 18 — LES CONTES Je suis aimÃe des petits enfants; dÃs qu’ils me voient, ils courent â¡ moi, et s’accrochent â¡ ma tunique et prennent mes jambes dans leurs petits bras. S’ils ont cueilli des fleurs, ils me les donnent toutes; s’ils ont pris un scarabÃe ils le mettent dans ma main; s’ils n’ont rien ils me caressent et me font asseoir devant eux. Alors ils m’embrassent sur la joue, ils posent leurs tÃtes sur mes seins; ils me supplient avec les yeux. Je sais bien ce que cela veut dire. Cela veut dire: ´ Bilitis chÃrie, dis-nous, car nous sommes gentils, l’histoire du hÃros Perseus ou la mort de la petite HellÃ. ª 19 — L’AMIE MARIâ¦E Nos mÃres Ãtaient grosses en mÃme temps et ce soir elle s’est mariÃe, Melissa, ma plus chÃre amie. Les roses sont encore sur la route; les torches n’ont pas fini de brËler. Et je reviens par le mÃme chemin, avec maman, et je songe. Ainsi, ce qu’elle est aujourd’hui, moi aussi j’aurais pu l’Ãtre. Suis-je dÃjâ¡ si grande fille? Le cortÃge, les flËtes, le chant nuptial et le char fleuri de l’Ãpoux, toutes ces fÃtes, un autre soir, se dÃrouleront autour de moi, parmi les branches d’olivier. Comme â¡ cette heure-mÃme Melissa, je me dÃvoilerai devant un homme, je connaÃtrai l’amour dans la nuit, et plus tard des petits enfants se nourriront â¡ mes seins gonflÃs… 20 — LES CONFIDENCES Le lendemain, je suis allÃe chez elle, et nous avons rougi dÃs que nous nous sommes vues. Elle m’a fait entrer dans sa chambre pour que nous fussions toutes seules. J’avais beaucoup de choses â¡ lui dire; mais en la voyant j’oubliai. Je n’osais pas mÃme me jeter â¡ son cou, je regardais sa ceinture haute. Je m’Ãtonnais que rien n’eËt changà sur son visage, qu’elle semblât encore mon amie et que cependant, depuis la veille, elle eËt appris tant de choses qui m’effarouchaient. Soudain je m’assis sur ses genoux, je la pris dans mes bras, je lui parlai â¡ l’oreille vivement, anxieusement. Alors elle mit sa contre la mienne, et me dit tout. 21 — LA LUNE AUX YEUX BLEUS La nuit, les chevelures des femmes et les branches des saules se confondent. Je marchais au bord de l’eau. Tout â¡ coup, j’entendis chanter: alors seulement je reconnus qu’il y avait lâ¡ des jeunes filles. Je leur dis: ´ Que chantez-vous? ª Elles rÃpondirent: ´ Ceux qui reviennent. ª L’une attendait son pÃre et l’autre son frÃre; mais celle qui attendait son fiancà Ãtait la plus impatiente. Elles avaient tressà pour eux des couronnes et des guirlandes, coupà des palmes aux palmiers et tirà des lotus de l’eau. Elles se tenaient par le cou et chantaient l’une aprÃs l’autre. Je m’en allai le long du fleuve, tristement, et toute seule, mais en regardant autour de moi, je vis que derriÃre les grands arbres la lune aux yeux bleus me reconduisait. 22 — Râ¦FLEXIONS (non traduite) 23 — CHANSON (Ombre du bois) ´ Ombre du bois oË elle devait venir, dis-moi, oË est allÃe ma maÃtresse? — Elle est descendue dans la plaine. — Plaine, oË est allÃe ma maÃtresse? — Elle a suivi les bords du fleuve. — Beau fleuve qui l’a vue passer, dis-moi, est-elle prÃs d’ici? — Elle m’a quittà pour le chemin. — Chemin, la vois-tu encore? — Elle m’a laissà pour la route. — â route blanche, route de la ville, dis-moi, oË l’as-tu conduite? — ¿ la rue d’or qui entre â¡ Sardes. — â rue de lumiÃre, touches-tu ses pieds nus? — Elle est entrÃe au palais du roi. — â palais, splendeur de la terre, rends-la-moi! — Regarde, elle a des colliers sur les seins et des houppes dans les cheveux, cent perles le long des jambes, deux bras autour de la taille. ª 24 — LYKAS Venez, nous irons dans les champs, sous les buissons de genÃvriers; nous mangerons du miel dans les ruches, nous ferons des piÃges â¡ sauterelles avec des tiges d’asphodÃle. Venez; nous irons voir Lykas, qui garde les troupeaux de son pÃre sur les pentes du Tauros ombreux. SËrement il nous donnera du lait. J’entends dÃjâ¡ le son de sa flËte. C’est un joueur fort habile. Voici les chiens et les agneaux, et lui-mÃme, debout contre un arbre. N’est-il pas beau comme Adonis! â Lykas, donne-nous du lait. Voici des figues de nos figuiers. Nous allons rester avec toi. ChÃvres barbues, ne sautez pas, de peur d’exciter les boucs inquiets. 25 — L’OFFRANDE ¿ LA Dâ¦ESSE Ce n’est pas pour l’ArtÃmis qu’on adore â¡ Perga, cette guirlande tressÃe par mes mains, bien que l’ArtÃmis soit une bonne dÃesse qui me gardera des couches difficiles. Ce n’est pas pour l’AthÃna qu’on adore â¡ SidÃ, bien qu’elle soit d’ivoire et d’or et qu’elle porte dans la main une pomme de grenade qui tente les oiseaux. Non, c’est pour l’Aphrodità que j’adore dans ma poitrine, car elle seule me donnera ce qui manque â¡ mes lÃvres, si je suspends â¡ l’arbre-sacrà ma guirlande de tendres roses. Mais je ne dirai pas tout haut ce que je la supplie de m’accorder. Je me hausserai sur la pointe des pieds et par la fente de l’Ãcorce je lui confierai mon secret. 26 — L’AMIE COMPLAISANTE L’orage a durà toute la nuit. SÃlÃnis aux beaux cheveux Ãtait venue filer avec moi. Elle est restÃe de peur de la boue. Nous avons entendu les priÃres et serrÃes l’une contre l’autre nous avons empli mon petit lit. Quand les filles couchent â¡ deux, le sommeil reste â¡ la porte. ´ Bilitis, dis-moi, dis-moi, qui tu aimes. ª Elle faisait glisser sa jambe sur la mienne pour me caresser doucement. Et elle a dit, devant ma bouche: ´ Je sais, Bilitis, qui tu aimes. Ferme les yeux, je suis Lykas. ª Je rÃpondis en la touchant: ´ Ne vois-je pas bien que tu es fille? Tu plaisantes mal â¡ propos. ª Mais elle reprit: ´ En vÃritÃ, je suis Lykas, si tu fermes les paupiÃres. Voilâ¡ ses bras, voilâ¡ ses mains… ª Et tendrement, dans le silence, elle enchanta ma rÃverie d’une illusion singuliÃre. 27 — PRI»RE ¿ PERSâ¦PHON PurifiÃes par les ablutions rituelles, et vÃtues de tuniques violettes, nous avons baissà vers la terre nos mains chargÃes de branches d’olivier. ´ â PersÃphonà souterraine, ou quel que soit le nom que tu dÃsires, si ce nom t’agrÃe , Ãcoute-nous, à Chevelue-de-tÃnÃbres, Reine stÃrile et sans sourire! ´ Kokhlis, fille de Thrasymakhos, est malade, et dangereusement. Ne la rappelle pas encore. Tu sais qu’elle ne peut t’Ãchapper: un jour, plus tard, tu la prendras. ´ Mais ne l’entraÃne pas si vite, à Dominatrice invisible! Car elle pleure sa virginitÃ, elle te supplie par nos priÃres, et nous donnerons pour la sauver trois brebis noires non tondues. ª 28 — LA PARTIE D’OSSELETS Comme nous l’aimions tous les deux, nous l’avons jouà aux osselets. Et ce fut une partie cÃlÃbre. Beaucoup de jeunes filles y assistaient. Elle amena d’abord le coup des KyklÃpes, et moi, le coup de SolÃn. Mais elle le Kallibolos, et moi, me sentant perdue, je priais la dÃesse! Je jouai, j’eus l’EpiphÃnÃn, elle le terrible coup de Khios, moi l’Antiteukhos, elle le Trikhias, et moi le coup d’Aphrodità qui gagna l’amant disputÃ. Mais la voyant pâlir, je la pris par le cou et je lui dis tout prÃs de l’oreille (pour qu’elle seule m’entendit): ´ Ne pleure pas, petite amie, nous le laisserons choisir entre nous. ª 29 — LA QUENOUILLE Pour tout le jour ma mÃre m’a enfermÃe au gynÃcÃe, avec mes soeurs que je n’aime pas et qui parlent entre elles â¡ voix basse. Moi, dans un petit coin, je file ma quenouille. Quenouille, puisque je suis seule avec toi, c’est â¡ toi que je vais parler. Avec la perruque de laine blanche tu es comme une vieille femme. â¦coute-moi. Si je le pouvais, je ne serais pas ici, assise dans l’ombre du mur et filant avec ennui: je serais couchÃe dans les violettes sur les pentes du Tauros. Comme il est plus pauvre que moi, ma mÃre ne veut pas qu’il m’Ãpouse. Et pourtant, je te le dis: ou je ne verrai pas le jour des noces, ou ce sera lui qui me fera passer le seuil. 30 — LA FLâ¬TE DE PAN Pour le jour des Hyacinthies, il m’a donnà une syrinx faite de roseaux bien taillÃs, unis avec de la blanche cire qui est douce â¡ mes lÃvres comme du miel. Il m’apprend â¡ jouer, assise sur ses genoux; mais je suis un peu tremblante. Il en joue aprÃs moi, si doucement que je l’entends â¡ peine. Nous n’avons rien â¡ nous dire, tant nous sommes prÃs l’un de l’autre; mais nos chansons veulent se rÃpondre, et tour â¡ tour nos bouches s’unissent sur la flËte. Il est tard, voici le chant des grenouilles vertes qui commence avec la nuit. Ma mÃre ne croira jamais que je suis restÃe si longtemps â¡ chercher ma ceinture perdue. 31 — LA CHEVELURE Il m’a dit: ´ Cette nuit, j’ai rÃvÃ. J’avais ta chevelure autour de mon cou. J’avais tes cheveux comme un collier noir autour de ma nuque et sur ma poitrine. ´ Je les caressais, et c’Ãtaient les miens; et nous Ãtions liÃs pour toujours ainsi, par la mÃme chevelure la bouche sur la bouche, ainsi que deux lauriers n’ont souvent qu’une racine. ´ Et peu â¡ peu, il m’a semblÃ, tant nos membres Ãtaient confondus, que je devenais toi-mÃme ou que tu entrais en moi comme mon songe. ª Quand il eut achevÃ, il mit doucement ses mains sur mes Ãpaules, et il me regarda d’un regard si tendre, que je baissai les yeux avec un frisson. 32 — LA COUPE Lykas m’a vue arriver, seulement vÃtue d’une exÃmis succincte, car les journÃes sont accablantes; il a voulu mouler mon sein qui restait â¡ dÃcouvert. Il a pris de l’argile fine, pÃtrie dans l’eau fraÃche et lÃgÃre. Quand il l’a serrÃe sur ma peau, j’ai pensà dÃfaillir tant cette terre Ãtait froide. De mon sein moulÃ, il a fait une coupe, arrondie et ombiliquÃe. Il l’a mise sÃcher au soleil et l’a peinte de pourpre et d’ocre en pressant des fleurs tout autour. Puis nous sommes allÃs jusqu’â¡ la fontaine qui est consacrÃe aux nymphes, et nous avons jetà la coupe dans le courant, avec des tiges de giroflÃes. 33 — ROSES DANS LA NUIT DÃs que la nuit monte au ciel, le monde est â¡ nous, et aux dieux. Nous allons des champs â¡ la source, des bois obscurs aux clairiÃres, oË nous mÃnent nos pieds nus. Les petites Ãtoiles brillent assez pour les petites ombres que nous sommes. Quelquefois, sous les branches basses, nous trouvons des biches endormies. Mais plus charmant la nuit que toute autre chose, il est un lieu connu de nous seuls et qui nous attire â¡ travers la forÃt: un buisson de roses mystÃrieuses. Car rien n’est divin sur la terre â¡ l’Ãgal du parfum des roses dans la nuit. Comment se fait-il qu’au temps oË j’Ãtais seule je ne m’en sentais pas enivrÃe? 34 — LES REMORDS D’abord je n’ai pas rÃpondu, et j’avais la honte sur les joues, et les battements de mon coeur faisaient mal â¡ mes seins. Puis j’ai rÃsistÃ, j’ai dit: ´ Non. Non. ª J’ai tournà la tÃte en arriÃre et le baiser n’a pas franchi mes lÃvres, ni l’amour mes genoux serrÃs. Alors il m’a demandà pardon, il m’a embrassà les cheveux, j’ai senti son haleine brËlante, et il est parti… Maintenant je suis seule. Je regarde la place vide, le bois dÃsert, la terre foulÃe. Et je mords mes poings jusqu’au sang et j’Ãtouffe mes cris dans l’herbe. 35 — LE SOMMEIL INTERROMPU Toute seule je m’Ãtais endormie, comme une perdrix dans la bruyÃre. Le vent lÃger, le bruit des eaux, la douceur de la nuit m’avaient retenue lâ¡. Je me suis endormie, imprudente, et je me suis rÃveillÃe en criant, et j’ai luttÃ, et j’ai pleurÃ; mais dÃjâ¡ il Ãtait trop tard. Et que peuvent les bras d’une fille? Il ne me quitta pas. Au contraire, plus tendrement dans ses bras, il me serra contre lui et je ne vis plus au monde ni la terre ni les arbres mais seulement la lueur de ses yeux… ¿ toi, Kypris victorieuse, je consacre ces offrandes encore mouillÃes de rosÃe, vestiges des douleurs de la vierge, tÃmoins de mon sommeil et de ma rÃsistance. 36 — AUX LAVEUSES Laveuses, ne dites pas que vous m’avez vue! Je me confie â¡ vous; ne le rÃpÃtez pas! Entre ma tunique et mes seins je vous apporte quelque chose. Je suis comme une petite poule effrayÃe… Je ne sais pas si j’oserai vous dire… Mon coeur bat comme si je mourais… C’est un voile que je vous apporte. Un voile et les rubans de mes jambes. Vous voyez: il y a du sang. Par l’ApollÃn c’est malgrà moi! Je me suis bien dÃfendue; mais l’homme qui aime est plus fort que nous. Lavez-les bien; n’Ãpargnez ni le sel ni la craie. Je mettrai quatre oboles pour vous aux pieds de l’AphroditÃ; et mÃme une drachme d’argent. 37 — CHANSON Quand il est revenu, je me suis cachà la figure avec les deux mains. Il m’a dit: ´ Ne crains rien. Qui a vu notre baiser? –Qui nous a vus? la nuit et la lune, ´ Et les Ãtoiles et la premiÃre aube. La lune s’est mirÃe au lac et l’a dit â¡ l’eau sous les saules. L’eau du lac l’a dit â¡ la rame. ´ Et la rame l’a dit â¡ la barque et la barque l’a dit au pÃcheur. HÃlas, hÃlas! si c’Ãtait tout! Mais le pÃcheur l’a dit â¡ une femme. ´ Le pÃcheur l’a dit â¡ une femme: mon pÃre et ma mÃre et mes soeurs, et toute la Hellas le saura. ª 38 — BILITIS Une femme s’enveloppe de laine blanche. Une autre se vÃt de soie et d’or. Une autre se couvre de fleurs, de feuilles vertes et de raisins. Moi je ne saurais vivre que nue. Mon amant, prends-moi comme je suis: sans robe ni bijoux ni sandales voici Bilitis toute seule. Mes cheveux sont noirs de leur noir et mes lÃvres rouges de leur rouge. Mes boucles flottent autour de moi, libres et rondes comme des plumes. Prends moi telle que ma mÃre m’a faite dans une nuit d’amour lointaine, et si je te plais ainsi n’oublie pas de me le dire. 39 — LA PETITE MAISON La petite maison oË est son lit est la plus belle de la terre. Elle est faite avec des branches d’arbre, quatre murs de terre sÃche et une chevelure de chaume. Je l’aime, car nous y couchons depuis que les nuits sont fraÃches; et plus les nuits sont fraÃches, plus elles sont longues aussi. Au jour levant je me sens enfin lassÃe. Le matelas est sur le sol; deux couvertures de laine noire enferment nos corps qui se rÃchauffent. Sa poitrine refoule mes seins. Mon coeur bat… Il m’Ãtreint si fort qu’il me brisera, pauvre petite fille que je suis; mais dÃs qu’il est en moi je ne sais plus rien du monde, et on me couperait les quatre membres sans me rÃveiller de ma joie. 40 — LA JOIE (non traduite) 41 — LA LETTRE PERDUE HÃlas sur moi! j’ai perdu sa lettre. Je l’avais mise entre ma peau et mon strophiÃn, sous la chaleur de mon sein. J’ai couru, elle sera tombÃe. Je vais retourner sur mes pas: si quelqu’un la trouvait, on le dirait â¡ ma mÃre et je serais fouettÃe devant mes soeurs moqueuses. Si c’est un homme qui l’a trouvÃe il me la rendra; ou mÃme, s’il veut me parler en secret je sais le moyen de la lui ravir. Si c’est une femme qui l’a lue, à Dzeus Gardien, protÃge-moi! car elle le dira â¡ tout le monde, ou elle me prendra mon amant. 42 — CHANSON ´ La nuit est si profonde qu’elle entre dans mes yeux. — Tu ne verras pas le chemin. Tu te perdras dans la forÃt. — Le bruit des chutes d’eau remplit mes oreilles. — Tu n’entendrais pas la voix de ton amant mÃme s’il Ãtait â¡ vingt pas. — L’odeur des fleurs est si forte que je dÃfaille et vais tomber. — Tu ne le sentirais pas s’il croisait ton passage. — Ah! il est bien loin d’ici, de l’autre cÃtà de la montagne, mais je le vois et je l’entends et je le sens comme s’il me touchait. ª 43 — LE SERMENT ´ Lorsque l’eau des fleuves remontera jusqu’aux sommets couverts de neiges; lorsqu’on sÃmera l’orge et le blà dans les sillons mouvants de la mer; ´ Lorsque les pins naÃtront des lacs et les nÃnufars des rochers, lorsque le soleil deviendra noir, lorsque la lune tombera sur l’herbe. ´ Alors, mais alors seulement, je prendrai une autre femme, et je t’oublierai, Bilitis, âme de ma vie, coeur de mon coeur. ª Il me l’a dit, il me l’a dit! Que m’importe le reste du monde! OË es-tu, bonheur insensà qui te compares â¡ mon bonheur! 44 — LA NUIT C’est moi maintenant qui le recherche. Chaque nuit, trÃs doucement, je quitte la maison, et je vais par une longue route, jusqu’â¡ sa prairie, le regarder dormir. Quelquefois je reste longtemps sans parler, heureuse de le voir seulement, et j’approche mes lÃvres des siennes, pour ne baiser que son haleine. Puis tout â¡ coup je m’Ãtends sur lui. Il se rÃveille dans mes bras, et il ne peut plus se relever car je lutte! Il renonce, et rit, et m’Ãtreint. Ainsi nous jouons dans la nuit. … PremiÃre aube, à clartà mÃchante, toi dÃjâ¡! En quel antre toujours nocturne, sur quelle prairie souterraine pourrons-nous si longtemps aimer, que nous perdions ton souvenir… 45 — BERCEUSE Dors: j’ai demandà ⡠Sardes tes jouets, et tes vÃtements â¡ Babylone. Dors, tu es fille de Bilitis et d’un roi du soleil levant. Les bois, ce sont les palais qu’on bâtit pour toi seule et que je t’ai donnÃs. Les troncs des pins, ce sont les colonnes; les hautes branches, ce sont les voËtes. Dors. Pour qu’il ne t’Ãveille pas, je vendrais le soleil â¡ la mer. Le vent des ailes de la colombe est moins lÃger que ton haleine. Fille de moi, chair de ma chair, tu diras quand tu ouvriras les yeux, si tu veux la plaine ou la ville, ou la montagne ou la lune, ou le cortÃge blanc des dieux. 46 — LE TOMBEAU DES NAÅADES Le long du bois couvert de givre, je marchais; mes cheveux devant ma bouche se fleurissaient de petits glaÃons, et mes sandales Ãtaient lourdes de neige fangeuse et tassÃe. Il me dit: ´ Que cherches-tu? –Je suis la trace du satyre. Ses petits pas fourchus alternent comme des trous dans un manteau blanc. ª Il me dit: ´ Les satyres sont morts. ´ Les satyres et les nymphes aussi. Depuis trente ans il n’a pas fait un hiver aussi terrible. La trace que tu vois est celle d’un bouc. Mais restons ici, oË est leur tombeau. ª Et avec le fer de sa houe il cassa la glace de la source oË jadis riaient les naÃades. Il prenait de grands morceaux froids, et, les soulevant vers le ciel pâle, il regardait au travers. II â¦Lâ¦GIES ¿ MYTIL»NE
SAPPHâ
47 — AU VAISSEAU Beau navire qui m’as menÃe ici, le long des cÃtes de l’Ionie, je t’abandonne aux flots brillants, et d’un pied lÃger je saute sur la grÃve. Tu vas retourner au pays oË la vierge est l’amie des nymphes. N’oublie pas de remercier les conseillÃres invisibles, et porte-leur en offrande ce rameau cueilli par mes mains. Tu fus pin, et sur les montagnes, le vaste NÃtos enflammà agitait tes branches Ãpineuses, tes Ãcureuils et tes oiseaux. Que le Boreus maintenant te guide, et te pousse mollement vers le port, nef noire escortÃe des dauphins au grà de la mer bienveillante. 48 — PSAPPHA Je me frotte les yeux… Il fait dÃjâ¡ jour, je crois. Ah! qui est auprÃs de moi?… une femme?… Par la Paphia, j’avais oubliÃ… â Charites! que je suis honteuse. Dans quel pays suis-je venue, et quelle est cette Ãle-ci oË l’on entend ainsi l’amour? Si je n’Ãtais pas ainsi lassÃe, je croirais â¡ quelque rÃve… Est-il possible que ce soit lâ¡ Psappha! Elle dort… Elle est certainement belle, bien que ses cheveux soient coupÃs comme ceux d’un athlÃte. Mais cet Ãtrange visage, cette poitrine virile et ces hanches Ãtroites… Je veux m’en aller avant qu’elle ne s’Ãveille. HÃlas! je suis du cÃtà du mur. Il me faudra l’enjamber. J’ai peur de frÃler sa hanche et qu’elle ne me reprenne au passage. 49 — LA DANSE DE GLâTTIS ET DE KYS⦠Deux petites filles m’ont emmenÃe chez elles, et dÃs que la porte fut fermÃe, elles allumÃrent au feu la mÃche de la lampe et voulurent danser pour moi. Leurs joues n’Ãtaient pas fardÃes, aussi brunes que leurs petits ventres. Elles se tiraient par les bras et parlaient en mÃme temps, dans une agonie de gaietÃ. Assises sur leur matelas que portaient deux trÃteaux ÃlevÃs, GlÃttis chantait â¡ voix aiguà et frappait en mesure ses petites mains sonores. Kysà dansait par saccades, puis s’arrÃtait, essoufflÃe par le rire, et, prenant sa soeur par les seins, la mordait â¡ l’Ãpaule et la renversait, comme une chÃvre qui veut jouer. 50 — LES CONSEILS Alors Syllikhmas est entrÃe, et nous voyant si familiÃres, elle s’est assise sur le banc. Elle a pris GlÃttis sur son genou, Kysà sur l’autre et elle a dit: ´ Viens ici, petite. ª Mais je restais loin. Elle reprit: ´ As-tu peur de nous? Approche-toi: ces enfants t’aiment. Elles t’apprendront ce que tu ignores: le miel des caresses de la femme. ´ L’homme est violent et paresseux. Tu le connais, sans doute. Hais-le. Il a la poitrine plate, la peau rude, les cheveux ras, les bras velus. Mais les femmes sont toutes belles. ´ Les femmes seules savent aimer; reste avec nous, Bilitis, reste. Et si tu as une âme ardente, tu verras ta beautà comme dans un miroir sur le corps de tes amoureuses. ª 51 — L’INCERTITUDE De GlÃttis ou de Kysà je ne sais qui j’Ãpouserai. Comme elles ne se ressemblent pas, l’une ne me consolerait pas de l’autre et j’ai peur de mal choisir. Chacune d’elles a l’une de mes mains, l’une de mes mamelles aussi. Mais â¡ qui donnerai-je ma bouche? â¡ qui donnerai-je mon coeur et tout ce qu’on ne peut partager? Nous ne pouvons rester ainsi toutes les trois dans la mÃme maison. On en parle dans MytilÃne. Hier, devant le temple d’ArÃs, une femme ne m’a pas dit: ´ Salut! ª C’est GlÃttis que je prÃfÃre; mais je ne puis rÃpudier KysÃ. Que deviendrait-elle toute seule? Les laisserai-je ensemble comme elles Ãtaient et prendrai-je une autre amie? 52 — LA RENCONTRE Je l’ai trouvÃe comme un trÃsor, dans un champ, sous un buisson de myrte, enveloppÃe de la gorge aux pieds dans un pÃplos jaune brodà de bleu. ´ Je n’ai pas d’amie, m’a-t-elle dit; car la ville la plus proche est â¡ quarante stades d’ici. Je vis seule avec ma mÃre qui est veuve et toujours triste. Si tu veux, je te suivrai. ´ Je te suivrai jusqu’â¡ ta maison, fËt-elle de l’autre cÃtà de l’Ãle et je vivrai chez toi jusqu’â¡ ce que tu me renvoies. Ta main est tendre, tes yeux sont bleus. ´ Partons. Je n’emporte rien avec moi, que la petite Aphrodità qui est pendue â¡ mon collier. Nous la mettrons prÃs de la tienne, et nous leur donnerons des roses en rÃcompense de chaque nuit. ª 53 — LA PETITE APHRODIT DE TERRE CUITE La petite Aphrodità gardienne qui protÃge Mnasidika fut modelÃe â¡ Camiros par un potier fort habile. Elle est grande comme le pouce, et de terre fine et jaune. Ses cheveux retombent et s’arrondissent sur ses Ãpaules Ãtroites. Ses yeux sont longuement fendus et sa bouche est toute petite. Car elle est la TrÃs-Belle. De la main droite, elle dÃsigne sa divinitÃ, qui est criblÃe de petits trous sur le bas-ventre et le long des aines. Car elle est la TrÃs-Amoureuse. Du bras gauche elle soutient ses mamelles pesantes et rondes. Entre ses hanches Ãlargies se gonfle un ventre fÃcondÃ. Car elle est la MÃre-de-toutes-choses. 54 — LE Dâ¦SIR Elle entra, et passionnÃment, les yeux fermÃs â¡ demi, elle unit ses lÃvres aux miennes et nos langues se connurent… Jamais il n’y eut dans ma vie un baiser comme celui-lâ¡. Elle Ãtait debout contre moi, toute en amour et consentante. Un de mes genoux, peu â¡ peu, montait entre ses cuisses chaudes qui cÃdaient comme pour un amant. Ma main rampante sur sa tunique cherchait â¡ deviner le corps dÃrobÃ, qui tour â¡ tour onduleux se pliait, ou cambrà se raidissait avec des frÃmissements de la peau. De ses yeux en dÃlire elle dÃsignait le lit; mais nous n’avions pas le droit d’aimer avant la cÃrÃmonie des noces, et nous nous sÃparâmes brusquement. 55 — LES NOCES Le matin, on fit le repas de noces, dans la maison d’Acalanthis qu’elle avait adoptÃe pour mÃre. Mnasidika portait le voile blanc et moi la tunique virile. Et ensuite, au milieu de vingt femmes, elle a mis ses robes de fÃte. On l’a parfumÃe de bakkaris, on l’a poudrÃe de poudre d’or, on lui a Ãtà ses bijoux. Dans sa chambre pleine de feuillages, elle m’a attendue comme un Ãpoux. Et je l’ai emmenÃe sur un char entre moi et la nymphagogue, et les passants nous acclamaient. On a chantà le chant nuptial; les flËtes ont chantà aussi. J’ai emportà Mnasidika sous les Ãpaules et sous les genoux, et nous avons passà le seuil couvert de roses. 56 — LE LIT (non traduite) 57 — LE PASS⦠QUI SURVIT Je laisserai le lit comme elle l’a laissÃ, dÃfait et rompu, les draps mÃlÃs, afin que la forme de son corps reste empreinte â¡ cÃtà du mien. Jusqu’â¡ demain je n’irai pas au bain, je ne porterai pas de vÃtements et je ne peignerai pas mes cheveux, de peur d’effacer les caresses. Ce matin, je ne mangerai pas, ni ce soir, et sur mes lÃvres je ne mettrai ni rouge ni poudre, afin que son baiser demeure. Je laisserai les volets clos et je n’ouvrirai pas la porte, de peur que le souvenir restà ne s’en aille avec le vent. 58 — LA Mâ¦TAMORPHOSE Je fus jadis amoureuse de la beautà des jeunes hommes, et le souvenir de leurs paroles, jadis, me tint ÃveillÃe. Je me souviens d’avoir gravà un nom dans l’Ãcorce d’un platane. Je me souviens d’avoir laissà un morceau de ma tunique dans un chemin oË passait quelqu’un. Je me souviens d’avoir aimÃ… â Pannychis, mon enfant, en quelles mains t’ai-je laissÃe? comment, à malheureuse, t’ai-je abandonnÃe? Aujourd’hui Mnasidika seule, et pour toujours, me possÃde. Qu’elle reÃoive en sacrifice le bonheur de ceux que j’ai quittÃs pour elle. 59 — LE TOMBEAU SANS NOM Mnasidika m’ayant prise par la main me mena hors des portes de la ville, jusqu’â¡ un petit champ inculte oË il y avait une stÃle de marbre. Et elle me dit: ´ Celle-ci fut l’amie de ma mÃre. ª Alors je sentis un grand frisson, et sans cesser de lui tenir la main, je me penchai sur son Ãpaule, afin de lire les quatre vers entre la coupe creuse et le serpent: ´ Ce n’est pas la mort qui m’a enlevÃe, mais les Nymphes des fontaines. Je repose ici sous une terre lÃgÃre avec la chevelure coupÃe de Xantho. Qu’elle seule me pleure. Je ne dis pas mon nom. ª Longtemps nous sommes restÃes debout, et nous n’avons pas versà la libation. Car comment appeler une âme inconnue d’entre les foules de l’HadÃs? 60 — LES TROIS BEAUTâ¦S DE MNASIDIKA Pour que Mnasidika soit protÃgÃe des dieux, j’ai sacrifià ⡠l’Aphrodita-qui-aime-les-sourires, deux liÃvres mâles et deux colombes. Et j’ai sacrifià ⡠l’ArÃs deux coqs armÃs pour la lutte et â¡ la sinistre Hekata deux chiens qui hurlaient sous le couteau. Et ce n’est pas sans raison que j’ai implorà ces trois Immortels, car Mnasidika porte sur son visage le reflet de leur triple divinitÃ: Ses lÃvres sont rouges comme le cuivre, ses cheveux bleuâtres comme le fer, et ses yeux noirs, comme l’argent. 61 — L’ANTRE DES NYMPHES Tes pieds sont plus dÃlicats que ceux de ThÃtis argentine. Entre tes bras croisÃs tu rÃunis tes seins, et tu les berces mollement comme deux beaux corps de colombes. Sous tes cheveux tu dissimules tes yeux mouillÃs, ta bouche tremblante et les fleurs rouges de tes oreilles; mais rien n’arrÃtera mon regard ni le souffle chaud du baiser. Car, dans le secret de ton corps, c’est toi, Mnasidika aimÃe, qui recÃles l’antre des nymphes dont parle le vieil HomÃros, le lieu oË les naÃades tissent des linges de pourpre, Le lieu oË coulent, goutte â¡ goutte, des sources intarissables, et d’oË la porte du Nord laisse descendre les hommes et oË la porte du Sud laisse entrer les Immortels. 62 — LES SEINS DE MNASIDIKA Avec soin, elle ouvrit d’une main sa tunique et me tendit ses seins tiÃdes et doux, ainsi qu’on offre â¡ la dÃesse une paire de tourterelles vivantes. ´ Aime-les bien, me dit-elle; je les aime tant! Ce sont des chÃris, des petits enfants. Je m’occupe d’eux quand je suis seule. Je joue avec eux; je leur fais plaisir. ´ Je les lave avec du lait. Je les poudre avec des fleurs. Mes cheveux fins qui les essuient sont chers â¡ leurs petits bouts. Je les caresse en frissonnant. Je les couche dans de la laine. ´ Puisque je n’aurai jamais d’enfants, sois leur nourrisson, mon amour; et, puisqu’ils sont si loin de ma bouche, donne-leur des baisers de ma part. ª 63 — LA CONTEMPLATION (non traduite) 64 — LA POUPâ¦E Je lui ai donnà une poupÃe, une poupÃe de cire aux joues roses. Ses bras sont attachÃs par de petites chevilles, et ses jambes elles-mÃmes se plient. Quand nous sommes ensemble elle la couche entre nous et c’est notre enfant. Le soir elle la berce et lui donne le sein avant de l’endormir. Elle lui a tissà trois petites tuniques, et nous lui donnons des bijoux le jour des Aphrodisies, des bijoux et des fleurs aussi. Elle a soin de sa vertu et ne la laisse pas sortir sans elle; pas au soleil, surtout, car la petite poupÃe fondrait en gouttes de cire. 65 — TENDRESSES Ferme doucement tes bras, comme une ceinture, sur moi. â touche, à touche ma peau ainsi! Ni l’eau ni la brise de midi ne sont plus douces que ta main. Aujourd’hui chÃris-moi, petite soeur, c’est ton tour. Souviens-toi des tendresses que je t’ai apprises la nuit derniÃre, et prÃs de moi qui suis lasse agenouille-toi sans parler. Tes lÃvres descendent de mes lÃvres. Tous tes cheveux dÃfaits les suivent, comme la caresse suit le baiser. Ils glissent sur mon sein gauche; ils me cachent tes yeux. Donne-moi ta main. Qu’elle est chaude! Serre la mienne, ne la quitte pas. Les mains mieux que les bouches s’unissent, et leur passion ne s’Ãgale â¡ rien. 66 — JEUX Plus que ses balles ou sa poupÃe, je suis pour elle un jouet. De toutes les parties de mon corps elle s’amuse comme une enfant, pendant de longues heures, sans parler. Elle dÃfait ma chevelure et la reforme selon son caprice, tantÃt nouÃe sous le menton comme une Ãtoffe Ãpaisse, ou tordue en chignon ou tressÃe jusqu’au bout. Elle regarde avec Ãtonnement la couleur de mes cils, le pli de mon coude. Parfois elle me fait mettre â¡ genoux et poser les mains sur les draps; Alors (et c’est un de ses jeux) elle glisse sa petite tÃte par-dessous et imite le chevreau tremblant qui s’allaite au ventre de sa mÃre. 67 — â¦PISODE (non traduite) 68 — Pâ¦NOMBRE Sous le drap de laine transparent nous nous sommes glissÃes, elle et moi. MÃme nos tÃtes Ãtaient blotties, et la lampe Ãclairait l’Ãtoffe au-dessus de nous. Ainsi je voyais son corps chÃri dans une mystÃrieuse lumiÃre. Nous Ãtions plus prÃs l’une de l’autre, plus libres, plus intimes, plus nues. ´ Dans la mÃme chemise, ª disait-elle. Nous Ãtions restÃes coiffÃes pour Ãtre encore plus dÃcouvertes, et dans l’air Ãtroit du lit, deux odeurs de femmes montaient, des deux cassolettes naturelles. Rien au monde, pas mÃme la lampe, ne nous a vues cette nuit-lâ¡. Laquelle de nous fut aimÃe, elle seule et moi le pourrions dire. Mais les hommes n’en sauront rien. 69 — LA DORMEUSE Elle dort dans ses cheveux dÃfaits, les mains mÃlÃes derriÃre la nuque. RÃve-t-elle? Sa bouche est ouverte; elle respire doucement. Avec un peu de cygne blanc, j’essuie, mais sans l’Ãveiller, la sueur de ses bras, la fiÃvre de ses joues. Ses paupiÃres fermÃes sont deux fleurs bleues. Tout doucement je vais me lever; j’irai puiser l’eau, traire la vache et demander du feu aux voisins. Je veux Ãtre frisÃe et vÃtue quand elle ouvrira les yeux. Sommeil, demeure encore longtemps entre ses beaux cils recourbÃs et continue la nuit heureuse par un songe de bon augure. 70 — LE BAISER Je baiserai d’un bout â¡ l’autre les longues ailes noires de ta nuque, à doux oiseau, colombe prise dont le coeur bondit sous ma main. Je prendrai ta bouche dans ma bouche comme un enfant prend le sein de sa mÃre. Frissonne!… car le baiser pÃnÃtre profondÃment et suffirait â¡ l’amour. Je promÃnerai mes lÃvres comme du feu, sur tes bras, autour de ton cou, et je ferai tourner sur tes cÃtes chatouilleuses la caresse Ãtirante des ongles. â¦coute bruire en ton oreille toute la rumeur de la mer… Mnasidika! ton regard m’importune. J’enfermerai dans mon baiser tes paupiÃres frÃles et brËlantes. 71 — LES SOINS JALOUX Il ne faut pas que tu te coiffes, de peur que le fer trop chaud ne brËle ta nuque ou tes cheveux. Tu les laisseras sur tes Ãpaules et rÃpandus le long de tes bras. Il ne faut pas que tu t’habilles, de peur qu’une ceinture ne rougisse les plis effilÃs de ta hanche. Tu resteras nue comme une petite fille. MÃme il ne faut pas que tu te lÃves, de peur que tes pieds fragiles ne s’endolorissent en marchant. Tu reposeras au lit, à victime d’ErÃs, et je panserai ta pauvre plaie. Car je ne veux voir sur ton corps d’autres marques, Mnasidika, que la tache d’un baiser trop long, l’Ãgratignure d’un ongle aigu, ou la barre pourprÃe de mon Ãtreinte. 72 — L’â¦TREINTE â¦PERDUE Aime-moi, non pas avec des sourires, des flËtes ou des fleurs tressÃes, mais avec ton coeur et tes larmes, comme je t’aime avec ma poitrine et avec mes gÃmissements. Quand tes seins s’alternent â¡ mes seins,